مقدمة
الاستاذة كارول عبود (زحلة) طلعت كتبا متنوعة من دينية وفلسفية وطبية،فدفعت اليها كتاب صديقي جون كلود- لاريشه المعنوان بالفرنسية تأليه الانسان بحسب القديس "مكسيموس المعترف" فادهشها، فزهدت في كل الكتب .تمثلته جيدا، فطلبت اليها في تشرين الاول 2010 ان تلخصه فيفي حوالي 60 صفحة بالفرنسية والعربية لنضعه على الانترنت وفي الجزء الثالث من كتاب عدنان طرابلسي " سألتك فأجبتني".والتمست من صديقي الاذن بذلك فأذن به. فله الشكر على لطفه. انه خير من كتب في مكسيموس، مع انه ما كتب فيه في القرن العشرين يؤلف مكتبة كبيرة .
8 شباط 2011
اسبيرو جبور
تلخيص كتاب بالفرنسية:
تألية الانسان بحسب القديس "مكسيموس المعترف"
(700 صفحة)
كارول عبود
Un résumé fait par Carole Abboud, du livre « La Divinisation de l’homme selon Saint Maxime le Confesseur » pour l’auteur Jean-Claude Larchet – Editions du Cerf 1996
La vie de Saint Maxime le Confesseur (580-662)
Maxime naquit en 580 à Constantinople dans une famille noble alliée à celle de l’Empereur Héraclius. Il accomplit ses études et exerça les fonctions de premier secrétaire de l’Empereur. En 613 ou 614, il entra au monastère non loin de Constantinople et fit la connaissance du moine Anastase qui deviendra son disciple. Une campagne des Perses et des Avars contre Constantinople en 626, obligea Maxime à quitter le monastère et à s’exiler d’abord en Crète, puis se rendit entre 628-630 en Afrique du Nord et s’installa au monastère Eucratas près de Carthage et prit Sophrone pour père spirituel. Les premières années de ce séjour furent fertiles. Il entretient des relations étroites avec les gouvernements impériaux de l’Afrique, se montrant particulièrement soucieux envers le monophysisme.
L’empereur Héraclius (610-641), dans le but de réunir à l’Eglise les monophysites sévériens de Syrie et d’Egypte, était à la recherche d’une formule qui permit d’exprimer l’idée de l’unité dans le Christ. Le patriarche de Constantinople Serge s’attela à cette tâche et dès 619, en se fondant sur la notion d’union hypostatique, il pensa pouvoir n’admettre dans le Christ « qu’une seule énergie humano-divine » il gagna à son opinion le métropolite Cyrus qui fut nommé en 631, patriarche d’Alexandrie. Cela a permit de rallier à l’Eglise la communauté monophysite d’Alexandrie mais cela suscita aussi une vive réaction de la part de Sophrone qui critiqua auprès de Cyrus et de Serge cette doctrine comme résurgence du monophysisme et de l’apollinarisme. Serge dut reculer devant ces protestations.
Il est peu probable que Maxime se soit engagé avant cette année 633 dans le combat contre le monoénergisme. C’est lorsque cette hérésie se manifesta au grand jour et devint en quelque sorte « officielle » que Maxime se préoccupa de la combattre aux côtés de son père spirituel Sophrone. Il affirme clairement que dans l’union hypostatique les deux natures demeurent inchangées et que sont sauvegardées leurs facultés respectives.
Vers la fin de 633, ou au début de 634, Sophrone revenu en Palestine, fut élu patriarche de Jérusalem. Il rejette la thèse d’ « une unique énergie ». Maxime respecte l’interdiction de parler du nombre des énergies tout en refusant la thèse d’une énergie unique. La multiplication de ses critiques indique qu’il voyait dans le monophysisme la source du monoénergisme.
Sophrone mourut en 638, quelques mois après l’occupation de Jérusalem par les troupes du Calife Omar. Maxime se trouva alors placé au premier plan des débats doctrinaux tandis qu’une nouvelle crise se faisait jour. Serge rédigea et fit promulguer par l’empereur en 638 une Exposition de la foi qui professait une seule volonté du Christ : cela marqua le début du monothélisme, lequel ne remplaçait pas le monoénergisme, mais le confirmait. Pyrrhus le succéda en 639, et celle-ci fit ratifier par le synode et fut accepté par tous les patriarches orientaux.
Pyrrhus, destitué après la mort d’Héraclius en 641 par son successeur Constant III, fut exilé en Afrique du Nord.
En 646, Maxime passa en Sicile, et se rendit à Rome. Il s’installa dans un des plus anciens monastères grecs de la ville et déploya une intense activité pour défendre la foi Orthodoxe. L’empereur Constant II qui succéda à Constant III mort l’année même de son accession au pouvoir, soutient le monothélisme et promulgua à la fin de 647, un Typos (rédigé par Paul II, Patriarche de Constantinople) qui interdisait de « controverser, discuter et de disputer de quelque manière sur la question d’une volonté et d’une énergie, ou de deux énergies et de deux volontés ».
En 649, Martin 1er fut élu Pape. A peine installé, il convoqua le synode du Latran qui condamna le Typos. Maxime participa activement à ce synode : il prépara une partie de la documentation nécessaire et rédigea certains actes, et quoique simple moine en signa les décisions.
Durant trois ans, l’empereur Constant cherche à obtenir le ralliement de Maxime et de Martin. Devant leur refus, il les fit arrêter et en Juin 653 et conduire à Constantinople. Maxime y fut jugé en Mai 655.
Exilé en Thrace, Maxime reçut en 656 la visite de deux émissaires de l’empereur qui tentèrent en vain de lui faire accepter un compromis.
En Avril 658, il fut ramené devant le patriarche de Constantinople pour une ultime tentative de conciliation qu’il refusa.
En Mai 662, il subit un second procès. Un synode Constantinopolitain monothélite le condamna à la flagellation et à l’amputation de la langue et de la main droite.
Déporté avec son fidèle compagnon Anastase au sud-est de la mer Noire, il fut interné le 8 Juin 662 à la forteresse de Shémaris, sur l’un des monts de Caucase (Géorgie), où il mourut le samedi 13 Aout 662.
En 680, le VIe concile œcuménique réhabilita sa personne et canonisa sa doctrine sur les deux volontés et les deux énergies du Christ.
L’aisance de Maxime dans l’abstraction, son sens de la dialectique, l’agilité et la rigueur de ses raisonnements, la précision de sa pensée, sa dextérité dans le maniement de concepts recherchés et subtils, sa capacité d’en adapter le sens à ses conceptions, sont des signes auxquels se reconnaît une formation intellectuelle de haut niveau.
Il apparaît à lire les œuvres de Maxime, que sa formation spirituelle et théologique doit moins bien à Origène qu’aux Cappadociens en particulier Grégoire de Nysse et surtout Grégoire de Naziance, à Cyrille, au Pseudo-Denys, et à certains théologiens du courant dit néo-chalcédonien.
Importance du thème de la divinisation dans l’œuvre de Maxime
Le thème de la divinisation de l’homme a déjà connu un développement et un approfondissement considérable, et a pris une position centrale dans la spiritualité de l’Orient chrétien avec Saint Ignace d’Antioche, Saint Justin, Saint Théophile d’Antioche, Saint Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Saint Athanase d’Alexandrie, Saint Macaire d’Egypte, Saint Basile de Césarée, Saint Grégoire de Nazianze, Saint Grégoire de Nysse, Saint Cyrille d’Alexandrie, Pseudo-Denys l’Aréopagite, Léonce de Jérusalem. On ne sera pas donc étonné que le thème de la divinisation occupe dans l’œuvre du Confesseur une place très importante. La déification tient une place de premier plan dans toute sa pensée.
Dans la présente étude, l’écrivain tente de résoudre une série de problèmes importants relatifs aux fondements christologiques de la divinisation .
I – La divinisation comme projet divin
La divinisation de l’homme n’apparaît pas comme projet divin seulement au moment de sa création, mais selon Maxime elle est conçue et voulue par le grand Conseil de Dieu qui a précédé les siècles. Ce Conseil divin (il s’agit du conseil trinitaire) a pour objet l’Incarnation du Verbe en même temps que la divinisation. Donc, c’est avant les siècles, que Dieu décide d’entrer dans la temporalité en la personne du Verbe pour sauver et diviniser l’homme.
L’Incarnation a pour objet premier le salut. Le salut de l’homme ne peut être accompli que par l’inhominisation du Verbe, par laquelle aussi s’accomplira la divinisation. Ainsi, le salut est la fin première de l’inhominisation du Verbe, mais la divinisation en est la fin dernière. C’est pourquoi Maxime écrit : « Dieu, le Verbe de Dieu et Père, est devenu Fils de l’homme et homme pour faire dieux et fils de Dieu les hommes ».
La divinisation est distinguée du salut par Maxime comme par la plupart des pères grecs et pour lui ; Si, dans l’état actuel de la déchéance de l’humanité, le salut est conditionné par l’Incarnation, et si la divinisation présuppose le salut, l’œuvre de divinisation est rapportée par Maxime, à l’Incarnation elle-même. L’Incarnation a une visée qui dépasse largement le salut de l’humanité déchue.
Maxime évoque la division des siècles en deux grandes périodes : celle de la descente de Dieu vers les hommes, autrement dit l’Incarnation, et celle de la montée des hommes vers Dieu, autrement dit la divinisation.
La communication de la grâce divine par le biais de l’Incarnation de Verbe est déjà nécessaire au développement spirituel que la divinisation présuppose.
On pourrait distinguer deux modes d’Incarnation du Verbe : l’Incarnation du Logos dans les vertus que le premier homme avait pour mission de développer en lui, jusqu’à être assimilé à Dieu et finalement divinisé, et l’Incarnation proprement dite du Logos qui S’est fait homme en naissant de la Vierge Marie, après que l’homme eut échoué à accomplir le premier mode d’union de la nature humaine à Dieu originellement prévu.
Du fait de la chute de l’homme, ce n’est pas cette fin qui a changé (autrement dit son logos reste le même), mais le mode ou tropos de son accomplissement, comme l’explique Maxime. Pour lui, la visée divine concerne bien la divinisation de l’univers entier, de toute la nature et de tous les êtres qu’elle contient.
Le logos d’un être, c’est son principe ou ses raisons essentielles, mais aussi sa finalité, ce en vue de quoi il est, en bref sa raison d’être au double sens de principe et de fin de son être. Mais ce principe et cette fin sont en Dieu : c’est pourquoi le mot logos a un sens spirituel, et Maxime nous mettant en garde contre une interprétation philosophique, souligne qu’il ne s’identifie pas avec la forme, distinguée de la matière, autrement dit avec « le logos physique » lequel reste encore à la surface des choses.
Un être singulier répond à un logos propre qui le caractérise et fait de lui un individu distinct et unique, et lui confère une valeur et un destin propres par rapport à Dieu (une place particulière dans la demeure du Père). C’est ainsi qu’il y a un logos pour chaque être qui a existé, existe ou existera.
Il répond aussi à un logos qui définit son essence ou sa nature, à un logos qui le situe dans un genre, et à une multitude de logoi qui correspondent aux nombreuses qualités définissant son essence.
Ce n’est donc pas seulement à un unique logos qu’un individu correspond, mais à une multitude de logoi, dont certains appartiennent aussi à d’autres êtres que lui. C’est ainsi que certains logoi sont particuliers, d’autres universels, et qu’une récapitulation des logoi est possible en s’élevant du particulier à l’universel.
Les logoi de tous les êtres ont été déterminés ensemble par Dieu dans le Logos divin, le Verbe de Dieu, avant les siècles, et donc avant que ces êtres soient crées : c’est en Lui qu’ils sont contenus avant les siècles et subsistent invariablement, et c’est par eux que toutes les choses, avant même qu’elles viennent à l’existence, sont contenues de Dieu. Ainsi tout être selon son logos, existe en puissance en Dieu avant les siècles. Mais il n’existe en acte, selon ce même logos, qu’au temps que Dieu, selon Sa sagesse, a jugé opportun pour le créer.
Une fois crée selon ce logos, c’est selon ce même logos encore que Dieu, selon Sa Providence, le conserve et actualise ses potentialités. Cependant, du point de vue de ces trois moments, on peut dire que tout être a non seulement un logos qui prédéfinit son essence, mais encore un logos qui prédéfinit sa venue à l’existence et un logos qui prédéfinit son accomplissement dans l’existence.
Le lien entre la théorie maximienne des logoi et la conception maximienne de la divinisation est très étroit. Maxime soutient qu’il ne peut y avoir de stasis primitive pour les créatures où elles connaîtraient d’emblée et par elles-mêmes la perfection : toute créature est un mouvement en tant qu’elle est nécessairement portée vers une fin, n’étant pas elle-même sa propre fin ; et son mouvement ne s’arrêtera et elle ne connaîtra pas le repos que lorsqu’elle sera parvenue à cette fin, qui est la Cause qui l’a produite et vers laquelle elle tend comme vers l’ultime désirable.
Maxime explique comment s’opère l’union à Dieu : celui qui, naturellement mû selon l’être, est mû aussi selon l’être-bien, atteint la fin de son mouvement dans le toujours-être-bien.
Dieu est la source de l’être en tant que principe, et de l’être-bien en tant que fin ; il est la source aussi du mouvement selon l’un et l’autre. Mais alors que le mouvement selon l’être est un don que l’homme ne peut refuser et qui appartient à sa nature, le mouvement selon l’être-bien tout en étant prédéterminé selon sa fin ne l’est pas selon son accomplissement effectif, celui-ci dépendant de sa disposition de vouloir, relevant autrement dit d’un choix personnel : l’homme peut accepter ou refuser d’être mû selon la grâce que Dieu lui fait de l’être-bien.
Accepter cette grâce consistera pour l’homme, à se mouvoir dans la connaissance et l’amour, jusqu’à Dieu, et, par une sortie de soi librement voulue, à se laisser tout entier envelopper, façonner, et pénétrer par Lui.
Maxime souligne le rôle central du logos et il indique qu’il n’est pas un principe métaphysique, en le nommant « Dieu Verbe du Dieu et Père […] qui existe en essence et en hypostase » et en se référant à Col 1, 16 : les nombreux logoi des êtres crées sont en Lui et trouvent leur unité en Lui, qui est principe et cause de tout, car tout a été crée de Lui et par Lui ».
Maxime explique alors comment les logoi de tous les êtres ont été fondés en Lui avant l’existence de ceux-ci et avant même de tous les siècles, que c’est selon eux que les êtres ont été créés, que c’est donc en eux qu’ils ont leur fondement, et que par eux donc ils participent, dans leur principe, du Logos , qui est présent en eux et en qui ils sont présents, Lui qui les récapitule tous.
Les logoi sont ce par quoi Dieu est présent dans Sa création et corrélativement ce par quoi les êtres créés se trouvent reliés à Dieu et présents en Lui. Pourtant les logoi des êtres tout en étant en Dieu et auprès de Lui ne sont pas Dieu. Non seulement Maxime souligne la radicale transcendance du logos à leur égard, mais il affirme qu’ils ont été eux-mêmes posés comme fondement par Lui, pré-disposés, ou encore qu’il les a accomplis, verbes qui indiquent une action créatrice, ou plus précisément pré-créatrice. En les appelant des « volontés divines » et en rapportant cette origine au « bon vouloir » de Dieu, il les rattache clairement à Son économie, en fait une œuvre de Sa volonté.
Ces prémisses étant posées, Maxime en vient à ce qui constitue ici son but principal : montrer comment nous pouvons être dits « parts de Dieu ». Il commence sa démonstration :
Le logos n’est pas seulement volonté divine au sens où il correspond à l’intention créatrice de Dieu, où c’est selon lui que Dieu créera au temps opportun l’être qui lui correspond, où il constitue donc le modèle de cet être dans son essence et sa particularité ; il correspond aussi à l’intention divine quant au destin de cet être : il définit par avance sa fin, le but vers lequel il doit tendre et dans lequel il trouvera son accomplissement, et cette fin est qu’il soit uni à Dieu et devienne dieu par participation.
La conception maximienne dit que si l’homme est d’emblée dieu, c’est dans l’intention divine seulement et en quelque sorte, potentiellement.
Il lui reste à actualiser cette potentialité, à atteindre effectivement ce but. Loin d’être une déchéance consécutive à une faute, la venue à l’existence de la créature va inaugurer sa démarche vers son accomplissement. Et le mouvement, loin de l’éloigner de Dieu, est au contraire un moyen donné par le créateur à sa nature, pour lui permettre de s’en rapprocher. Mais il faut que ce mouvement soit mis en œuvre conformément à son logos, et cela relève de son libre arbitre.
Ce mouvement s’arrête lorsque l’homme a atteint la fin qui lui est assignée par son logos, à savoir Dieu. L’homme retrouve alors son propre principe ou, comme dit Maxime, est rétabli auprès du logos selon lequel il a été crée, au sens où il accomplit pleinement l’intention manifestée par Dieu à son égard dès avant sa création, où il accomplit en actes les potentialités définies à l’origine par son logos, où il a fait coïncider par libre choix son existence avec le principe normatif de son être prédéfini par Dieu et inscrit comme sens et tâche dans sa nature.
Maxime dit dans un passage « Chacun des êtres selon son logos qui est en Dieu, est appelé membre de Dieu et est dit avoir son lieu en Dieu. Assurément, s’il est mû selon lui avec sagesse et raison, il adviendra en Dieu, remplissant son propre lieu qui lui convient comme membre utile dans le corps du Christ ».
On voit comment le projet divin, tout en étant parfaitement défini quant à sa fin et à ses moyens, laisse aux êtres doués d’intellect et de raison (anges et hommes) la possibilité de ne pas le réaliser : car ce projet est l’œuvre de l’amour de Dieu et suppose de leur part une réponse du même ordre. Cette place donnée à l’amour de Dieu et de l’homme, et à leur liberté, nous prouve une fois de plus que la conception de Maxime est à l’opposé d’une métaphysique où les êtres apparaîtraient, selon un processus de pure nécessité, comme les avatars d’une essence impersonnelle
Maxime conçoit la divinisation comme l’œuvre du huitième jour, ce qui confirme une fois de plus que la divinisation est bien pour lui l’accomplissement de la création, la réalisation de sa fin suprême, inscrite dans ses logoi : « Le huitième [jour] est le transfert et le passage dans la divinisation de ceux qui sont dignes. Peut-être le Seigneur n’a-t-il jamais fait entrevoir plus mystiquement ce septième et ce huitième jour qu’en les désignant comme ‘ jour et heure de la consommation ‘ en tant qu’elle circonscrit les mystères et les logoi de toutes choses ».
Cette divinisation qui s’opère en sa plénitude au huitième jour, correspond pour l’ensemble de la création, à son accomplissement selon la totalité du temps et des siècles de son existence ainsi qu’à la coïncidence du principe qui a présidé à sa création et qui définit son but essentiel et suprême (à savoir Dieu en tant que Cause, ou, si on la considère elle-même, le dessein ou la volonté de Dieu à son égard, dont elle est porteuse dans les logoi qui la définissent fondamentalement) avec sa fin (à savoir Dieu en tant que but, ou si l’on considère la création elle-même, la réalisation effective de la fin vers laquelle elle est orientée de par ses logoi) : « la divinisation, selon un logos de modèle, c’est l’enveloppe et la limite de tous les temps et siècles, et de toutes les choses qui sont en un temps et un siècle. L’enveloppe et la limite de tous les temps et les siècles, et de toutes les choses qui sont en eux, sont l’unité du pur et souverain principe avec la fin pure et souveraine en ceux qui sont sauvés »
II – Les fondements anthropologiques de la divinisation
Selon le projet de Dieu précédant les siècles, l’homme a de par sa nature, selon le logos qui définit celle-ci, comme fin d’être divinisé. C’est dire que l’homme est créé avec, dans sa constitution naturelle, le mouvement et toutes les puissances (ou facultés) lui permettant d’atteindre cette fin, celles-ci tendant même naturellement vers elle, étant orientées vers elle.
L’orientation naturelle de toutes les puissances de l’homme vers Dieu est souvent soulignée par Maxime. Parmi toutes les facultés de l’homme dynamiquement orientées vers Dieu, l’intellect vient en première place. Il évoque l’élan naturel de celui-ci vers Dieu et souligne la capacité qu’a l’homme, par les facultés qui lui ont été naturellement données, de rechercher Dieu et de scruter les réalités spirituelles. Il note qu’on a un désir naturel de Dieu.
Il faut aussi ajouter la volonté qui relève de l’essence ou de la nature et non de l’hypostase, et Maxime n’ignore pas le rôle de la grâce divine. Il y a une action providentielle de Dieu qui soutient en quelque sorte le mouvement des êtres vers Dieu, l’opération de leurs puissances pour Lui et l’accomplissement de leur logos en Lui.
La divinisation de l’homme ne répond pas à un processus de nécessité et il y a pour lui un espace propre entre sa nature et la grâce divine, qui est celui de son libre arbitre, sans cependant que ces trois notions (nature, grâce, liberté) s’opposent entre elles.
La puissance générale ou constitutive de chaque être et son énergie relèvent de la nature ou de l’essence.
L’hypostase ou personne, se rapporte aux êtres individuels et désigne ce qui est particulier et propre. L’hypostase manifeste le « qui de l’essence» ; elle « est monstrative de ‘ qui ’ elle est ». « Ceux qui sont unis sous une seule et même essence ou nature se distinguent les uns des autres par les hypostases ou les personnes, comme il en va des anges, des hommes et de toutes les créatures considérées dans une espèce et un genre ».
En ce qui concerne les puissances de l’âme, c’est l’hypostase qui détermine l’impulsion et le but du mouvement selon lequel la nature opère et exerce effectivement et concrètement ces puissances. Jamais l’œuvre ne suit la puissance sans avoir l’impulsion de celui à qui appartient la puissance, qui lui propose la fin actuelle et concrète, à elle qui est par elle-même dépourvue d’existence.
La distinction nature-hypostase se retrouve au niveau de la volonté. Pour Maxime, l’homme est un être raisonnable par nature, les deux puissances qui le caractérisent spécifiquement étant la raison et la volonté, les opérations de ces puissances étant respectivement le raisonnement et l’appétition.
La volonté est une appétition rationnelle qui appartient à l’homme en tant qu’il est doué d’une âme intelligente. Elle s’identifie à la capacité d’auto-détermination caractéristique des êtres rationnels, et leur permet d’avoir un mouvement de plein gré. Elle est inhérente à la nature ou à l’essence. Le vouloir qui en procède est donc lui aussi de nature.
Le comment vouloir se rapporte à l’hypostase, c’est un mode de l’usage du vouloir. Le simple vouloir correspond à la volonté naturelle. Le comment vouloir correspond à la volonté gnômique ou vouloir gnômique.
Il y a une distinction entre volonté-souhait (volonté naturelle) et volonté-visant-la-fin (volonté qualifiée). La gnômè précède le choix et l’oriente. L’intervention de la gnômè correspond à sa phase proprement morale, au moment où la personne marque moralement son choix en même temps qu’elle se marque elle-même par lui. C’est par elle que la personne se dispose pour le bien ou le mal, pour la vertu ou le vice, pour son logos de nature ou contre lui, autrement dit pour la nature ou contre elle, et ultimement pour Dieu ou contre Lui.
Le logos est fixe, invariant, immuable, inaltérable, il se rapporte à l’essence ou à la nature, tandis que le tropos est sujet à la diversification, variation, modification, ou innovation et est relatif à l’hypostase ou personne et dépend de la disposition de vouloir et du choix de la personne, et l’exprime dans une manière d’être ou un comportement qui prend son sens relativement au logos.
Le mouvement de l’homme, ses puissances et leur énergie sont naturellement ordonnés à Dieu. Il dépend de chaque personne, de sa disposition de vouloir, et de son libre arbitre d’exister conformément ou non à cette nature, c.à.d de se mouvoir ou non au mouvement de sa nature, d’user de ses puissances ou de mettre en œuvre leur énergie conformément ou non à la nature et à son logos.
Le couple image-ressemblance de Dieu, a une origine biblique et chez Maxime, cette dyade est mise en rapport avec la distinction nature-hypostase et elle est également mise en correspondance avec la dyade logos –tropos.
L’image de Dieu correspond à l’essence ou à la nature de l’homme tel qu’il a été créé par Dieu. Elle est donc constituée par des attributs, qualités ou facultés, qui caractérisent fondamentalement, essentiellement cette nature. Elles lui en ont été naturellement données par le Créateur. Elles sont un reflet de Sa propre essence : Maxime les qualifie de « propriétés divines » attribuées à la nature humaine ou plus précisément d’ « images de l’essence de Dieu ».
Parmi les propriétés constitutives de la nature de l’homme qui sont des participations naturelles à des propriétés divines et qui en font un être à l’image de Dieu, figurent le fait d’être intelligent et raisonnable, ainsi que l’indépendance et l’auto-détermination ; figurent aussi l’invisibilité, l’incorruptibilité et l’immortalité. Certaines de ces propriétés concernent le commencement, d’autres la fin de l’homme.
Alors que l’image se ressemble à la nature, la ressemblance est relative à l’hypostase. Alors que l’image fait partie de la constitution naturelle de l’homme et lui est d’emblée donnée par le Créateur, ne supposant aucune intervention de sa part, la ressemblance n’est au départ que potentielle ; elle demande sa participation personnelle, pour être réalisée et est dans ce sens tributaire de sa disposition de vouloir et de son choix. Alors que l’image relève du logos de sa nature, la ressemblance relève de son genre de vie, autrement dit le mode de son existence.
Parmi les qualités/vertus caractéristiques de la ressemblance, Maxime cite la bonté et la sagesse. La douceur et la miséricorde pouvant se ramener à la bonté. Il va de soi que la possession de ces vertus en plénitude présuppose l’impassibilité, laquelle signifie le fait d’être exempt de toute passion. Maxime n’exclut pas les autres vertus, mais explique que la bonté, forme essentielle de l’amour, constitue à la fois leur sommet et leur somme.
Maxime rattache à l’être et le toujours – être à l’image, et rattache à la ressemblance l’être-bien. Alors que Dieu possède ces qualités par nature, l’homme est appelé à les posséder par participation. Il lui revient par disposition de vouloir et par choix de les acquérir, et cela en se faisant l’imitateur de Dieu. La personne accomplit cela en refusant la sensation et la séduction, de la sensation qui mène aux passions, lesquels contredisent les vertus et sont susceptibles de substituer à elles. Maxime note : « En [la raison] a été naturellement infusée la majesté de l’image divine pour persuader l’âme de se transformer selon la gnômè à la ressemblance de Dieu ».
Maxime affirme que les vertus sont dans la nature et souligne qu’elles ont Dieu pour principe, que ce soit dans leur origine et leur essence ou dans leur acquisition par l’homme. Pour celles qui constituent la ressemblance, il note que l’homme les reçoit par participation comme un don gracieux, il évoque le rôle de l’Esprit Saint à l’égard du choix dans l’acquisition des vertus et la grâce dans le développement spirituel de l’homme.
Maxime note que parmi les choses auxquelles on peut attribuer un logos de nature, certaines sont « par grâce implantées dans les créatures comme une puissance innée proclamant fortement que Dieu est en tous ».
La dyade image-ressemblance entretient avec la conception maximienne de la divinisation un rapport étroit. En premier, la ressemblance à Dieu répond au projet divin.
Maxime considère ces trois termes (être, être-bien et toujours-être) comme « trois modes universels de notre venue à l’existence ».
L’être, tout en recouvrant le même objet que l’essence, souligne le côté existentiel de l’être. Il appartient par nature aux êtres créés dès leur venue à l’existence.
Alors que l’être « ressortit à Dieu seul comme cause », l’être-bien « dépend de notre disposition de vouloir » ou de notre choix. Il est comme un mouvement permanent vers Dieu et correspond à un certain usage par la personne selon son libre arbitre des puissances ou facultés de sa nature. L’être-bien considéré en lui-même, est une grâce de Dieu, mais il dépend de notre choix d’accepter ou non cette grâce. On peut dire que l’être correspond au logos de nature, l’être-bien correspond à un mode d’existence qui lui est conforme, alors que l’être-mal correspond à un usage de ces puissances non conforme au logos de la nature ou contre nature.
Le toujours-être, n’est pas naturellement dans les êtres raisonnables, mais il leur est donné par grâce ressortissant tout comme l’être à Dieu seul comme cause. Il ne peut en effet être en eux essentiellement, il appartient à l’image de Dieu en l’homme. Donc il est donné à tout homme ; autrement dit tout homme sera éternellement, qu’il ait vécu selon l’être-bien ou selon l’être-mal. Il correspond à la limite de l’opération des êtres raisonnables, à la cessation de leur mouvement. Maxime note : « D’après la façon dont l’opération selon le choix aura usé de la puissance naturelle, selon la nature ou contre la nature, elle aboutira à son terme étant en possession de l’être-bien ou de l’être-mal ».
Nous pouvons remarquer que l’être, l’être-bien et le toujours-être sont tous trois donnés par Dieu comme une grâce. « L’être est donné selon l’essence à ceux qui sont », « l’être-bien leur est donné selon le choix en tant qu’ils se meuvent par eux-mêmes », celui du « toujours-être leur est conféré comme honneur selon la grâce ». On peut encore considérer la diversité de la modalité du don de point de vue de Dieu : « Dieu nous fait don de l’être en tant que principe » et la grâce de l’être-bien et du toujours-être en tant que fin. Pour ce qui concerne l’être-bien, cela ne contredit pas le fait que celui-ci dépende comme dit Maxime de notre choix, il conçoit l’acquisition de l’être-bien par la personne comme le fait d’une synergie entre sa propre volonté et la grâce de Dieu qui est considérée comme Providence « L’œuvre de la Providence, c’est non seulement de garder la nature selon le logos de son être, mais aussi de montrer qu’elle a acquis le logos de l’être-bien continûment par grâce ».
Si la divinisation de l’homme ne peut être qu’un effet de la grâce divine, l’homme cependant, a été par Dieu créé et constitué de telle sorte qu’il puisse s’acheminer vers cette divinisation que Dieu a projeté pour lui, et recevoir cette grâce. Dans la conception de Maxime, la notion de logos joue un rôle fondamental. Elle définit la norme de la nature humaine telle qu’elle a été établie par Dieu au commencement, à sa création, et surtout telle qu’elle doit trouver à la fin son accomplissement en Dieu selon Sa volonté ; elle définit aussi le devenir « normal » de l’homme, devenir qui se situe au « milieu » entre ce principe et cette fin, et selon lequel l’homme devrait accomplir effectivement à la fin, l’idéal qui a été posé pour lui par Dieu dès le commencement. Etre divinisé par Dieu suppose essentiellement de la part de l’être humain qu’il soit en accord avec le logos de sa nature ou plus simplement vive selon sa nature, c.à.d se meuve et opère selon l’orientation dynamique originelle de ses puissances vers Dieu.
Les saints sont ceux qui « ont appris à être portés selon le logos convenable de la nature vers la cause de celle-ci » ; il s’agit donc pour chacun de faire tel apprentissage. Il s’agit notamment pour lui de faire un bon usage des puissances de sa nature ; en effet « si l’âme use bien de ses facultés, elle parvient à Dieu », et lors de Sa Parousie, Dieu viendra et demeurera tout entier en « ceux qui par choix ont usé du logos de leur être selon la nature ». Donc, il s’agit pour l’homme d’acquérir par son libre choix, à partir des possibilités inscrites dans l’image de Dieu et selon la grâce, la ressemblance à Dieu, notamment en exerçant les vertus mises en sa nature telles des semences ou des tendances fondamentales, cette ressemblance, en sa perfection, correspond elle aussi à l’état de divinisation.
Selon Maxime, le péché a consisté pour Adam à négliger « le mouvement de l’opération vers [leur] fin des puissances naturelles ». Plus précisément à se détourner de Dieu, à se détacher de Lui, pour se tourner vers les réalités sensibles et s’attacher à elles par le biais du plaisir qu’elles lui procuraient. L’homme a préféré les réalités présentes aux éternelles, le vide à la plénitude, qu’il n’a pas fixé la lumière divine et s’est abandonné aux sens, qu’ignorant Dieu, il a mêlé la puissance de son intellect à ses sens, qu’il a substitué à la connaissance de Dieu la connaissance passionnée des êtres sensibles, qu’au lieu de s’attacher à Dieu et de devenir spirituel, il a préféré s’attacher à la « prostituée » et devenir charnel, qu’il a préféré « aux biens intelligibles et encore invisibles les visibles flattant ses sens », qu’il n’a pas voulu se nourrir du pain descendu du ciel, fait sa première nourriture du fruit de l’arbre défendu et s’est donc éloigné de la vie divine recevant à sa place une autre vie. Maxime considère encore qu’Adam a ignoré le vrai Dieu et s’est détourné de Lui, mettant à Sa place le diable, la création sensible et son propre corps. Un détournement semblable se produit au niveau du désir. Le péché signifie que l’homme par sa disposition de vouloir s’est détourné de son propre logos et s’est mû, a usé de ses puissances ou a opéré contre nature.
Le premier péché ancestral est bien sûr, la séparation d’avec Dieu, conçue ici comme conséquence et non comme acte. Cette séparation implique la perte de toutes les qualités que l’homme avait originellement reçues de Dieu et devait confirmer par une existence accordée à son logos de nature ; elle implique a fortiori la perte de la divinisation que l’homme devait finalement recevoir et qui est inscrite comme projet divin dans ce même logos de nature.
La réalité exprimée comme une chute est également exprimée comme un exil loi du paradis. Autrement dit, l’homme déchu perd toutes les qualités qui constituaient l’état paradisiaque, notamment l’impassibilité, l’incorruptibilité et l’immortalité. La perte de ces qualités est liée au fait qu’Adam, par son péché, s’est privé de la grâce à laquelle elles étaient dues. La nature humaine se trouve donc désormais affectée par la passibilité, la corruption et la mort.
La passibilité donne lieu aux passions naturelles comme la faim, la soif, le sommeil, et une certaine forme de crainte et de tristesse. Les passions sont suscitées par l’attrait du plaisir et le souci d’éviter la douleur. Maxime affirme qu’elles ont toutes leur fondement dans trois passions premières et génériques : l’ignorance, la philautie (ou amour passionné de soi), et la tyrannie (ou autorité despotique exercée sur le prochain), la deuxième venant de la première et la troisième de la deuxième. Maxime explique que plus l’homme s’adonne à la connaissance des êtres sensibles, plus il s’ancre dans l’ignorance de Dieu, plus il s’enferme dans cette ignorance, plus il s’attache à la jouissance des êtres sensibles et plus il allume la philautie (qui est d’abord souci et tendresse pour le corps) ; plus il conforte celle-ci, plus sa pensée est accaparée par les multitudes façons de soutenir sa jouissance.
« Revendiquant par la philautie le plaisir et pour la même raison mettant notre zèle à éviter la douleur, nous concevons les innombrables sources de passions corruptrices. Si nous prenons soin de la philautie en vue du plaisir, nous donnons naissance à la gourmandise, l’orgueil, la vaine gloire, l’enflure, l’avarice, l’avidité, la tyrannie, la fierté, la vantardise, la déraison, la folie, la suffisance, l’aveuglement par les fumées de l’orgueil, le mépris, l’insolence, l’efféminement, la bouffonnerie, la débauche, la licence, la frivolité, l’exaltation de soi, la mollesse, les simagrées, la dérision, le bavardage, les paroles incongrues, les propos obscènes, et toutes les autres choses de ce genre. Si plutôt la philautie est meurtrie par la douleur, nous engendrons l’irascibilité, la malveillance, la haine, l’inimitié, la rancune, l’injure, la médisance, la calomnie, la tristesse, le manque d’espérance, le désespoir, la défiance, l’accusation de la providence, l’acédie, la négligence, le découragement, l’abattement, la pusillanimité, l’affliction inopportune, la lamentation, la honte, les gémissements, la rivalité, la jalousie, l’envie, et toutes les autres choses qui relèvent d’un état d’âme frustré des occasions de plaisir. Du mélange, venu d’autres causes, du plaisir et de la douleur, c.à.d de la perversité – car certains appellent perversité ce composé d’éléments opposé de disposition vicieuse -, nous engendrons l’hypocrisie, l’ironie, la ruse, l’affectation, la flatterie, le désir de plaire, et toutes les autres inventions de la malice mixte.
Maxime note que, par son péché, l’homme a perdu l’image de Dieu et a reçu en échange la ressemblance avec les animaux sans raison.
Tous les hommes qui succèdent à Adam sont issus de lui, prennent leur être de lui et héritent en conséquence de sa nature en son état consécutif au péché ancestral. Selon le projet initial de Dieu, c’est un mode d’engendrement non sexuel, de nature spirituelle, qui devait permettre aux hommes de se reproduire. Le péché d’Adam a eu pour effet d’introduire un mode nouveau d’engendrement, semblable à celui des animaux, s’effectuant par le biais de la division sexuelle, corporel et donc matériel, auquel préside, au moment de la conception, la jouissance sensible, accompagné donc de passion, suivi au moment de la naissance de douleur et de corruption, et à tous les niveaux intimement lié au péché.
Cette nouvelle loi est la loi charnelle qui succède à la loi spirituelle qui régnait antérieurement et s’oppose à elle. Maxime l’appelle encore « Loi du péché ». C’est dans la naissance corporelle que « réside tout le pouvoir de notre condamnation ». Par elle sont transmises, outre sa propre loi, les autres « lois de la nature » consécutives à la transgression : la passibilité, la corruption, et la mort.
Maxime remarque par ailleurs que les saints d’avant la venue du Seigneur « espéraient et attendaient que l’Auteur de la nature la sauvât, elle qui était en train de se corrompre ». Pourtant Maxime n’exclue pas la possibilité pour certains descendants d’Adam, d’atteindre un certain degré de perfection. Tout saint d’avant la venue du Seigneur espérait. Les justes de l’Ancienne Alliance ont pu se préserver des passions mauvaises (ou s’en libérer), ils ont pu pratiquer toutes les vertus. Ainsi Maxime note-t-il que « n’importe lequel des saints, de ceux d’avant la venue du Seigneur, pouvait exercer toutes les vertus, même s’il n’avait pas connu tout le mystère de l’économie ». Selon lui, les prophètes ont par grâce échappé aux effets du péché ancestral sur la connaissance humaine et recevoir « les révélations du divin » et avoir « les connaissances des mystères », apprendre les raisons des visions.
IV – Les fondements christologiques de la divinisation
Le salut comme préalable de la divinisation
A partir du péché d’Adam, c’est en tant que Verbe incarné, que Dieu-homme que le Verbe apparaît comme seul médiateur de la communion de l’homme avec Dieu et de sa divinisation. « il fallait que Celui qui est vraiment selon la nature le créateur de l’essence des êtres, devînt aussi Celui qui opère par Lui-même la divinisation des êtres selon la grâce » ; « c’est pour cela qu’Il devient véritablement homme : par grâce faire de nous des dieux » ;
« le Bien est advenu, car, étant incréé par nature, Il accepte de venir près de nous par grâce en Son amour de l’homme, pour notre divinisation » ; « Dieu, le Verbe de Dieu le Père, est devenu fils de l’homme et homme pour faire dieux et fils de Dieu les hommes ». Le verbe « est venu diviniser totalement la nature que Lui, de Sa propre volonté, avec la bienveillance du Père et la coopération de l’Esprit, S’était uni en une seule et même hypostase avec tout ce qui lui est inhérent par nature ».
Bien que la divinisation soit la fin dernière de l’Incarnation, et bien que l’Incarnation permette à la divinisation de s’accomplir au plus haut degré, c’est le salut de l’homme qui constitue selon Maxime la fin première de l’Incarnation. La divinisation de l’homme présuppose son salut ; l’homme ne peut être divinisé s’il n’est d’abord délivré du péché et de ses suites. Ce salut de l’homme ne peut être accompli que par l’inhominisation du Verbe, car la nature humaine ne peut être restaurée que de l’intérieur, qu’en elle-même et par Dieu seul.
Dans sa conception du salut, Maxime accorde une place essentielle au mode nouveau de la venue à l’existence du Verbe dans la chair. Parce qu’Il était Dieu, le Verbe incarné a pu venir à l’existence selon un autre mode que celui auquel tous les hommes étaient soumis depuis la faute d’Adam : en étant conçue sans semence (ou plus exactement de Sa propre semence) et engendré d’une vierge, par conséquent sans le plaisir et sans la passion et la corruption qui accompagnent le mode de conception et d’engendrement charnels des descendants d’Adam.
L’Assomption volontaire par le Verbe incarné des passions naturelles (notamment des souffrances) et de la mort pour les injustes, a un effet salvateur sur le commencement de la vie humaine : elle permet à la nature humaine d’échapper désormais à la loi d’engendrement par jouissance et d’accéder à un autre principe d’engendrement, non plus charnel mais spirituel, mais elle a aussi un effet sur sa fin : la mort injuste du Christ signifie la condamnation et la mort de la mort. On pourrait ajouter que cette assomption a aussi un effet salvateur sur « le milieu » de la vie humaine : elle signifie la destruction de la passibilité et de son pouvoir de porter l’homme au péché.
En même temps qu’Il libère la nature humaine de tous les défauts consécutifs au péché qui l’affectent, le Christ lui redonne les qualités et les biens que Dieu lui avait attribués ou qu’il lui destinait.
Ayant détruit par Sa naissance selon un mode nouveau le mode de naissance charnel consécutif à la faute Adamique, le Christ donne à la nature humaine, par son baptême, de connaître la nouvelle naissance spirituelle à laquelle Adam était appelé, mais dont son péché l’a détourné. En même temps qu’il boute hors de la disposition intérieure de l’homme l’inclinaison pour les passions, Il renouvelle les puissances de son âme et les dispose aux vertus. En même temps que, par la mort qu’Il a accepté de subir, Il a condamné et détruit le péché et son pouvoir, et anéanti la mort et son pouvoir, Il a permis à la nature d’accéder à l’incorruptibilité et à l’immortalité.
Par Sa Résurrection, Il a manifesté cette impassibilité, cette incorruptibilité, et cette immortalité qu’Il a acquises à notre nature, et lui a accordée la vie éternelle.
L’accord permanent et parfait de la volonté humaine du Verbe avec la volonté divine et paternelle, que Maxime reconnaît un pouvoir salvateur pour toute la nature humaine. Cet accord se manifeste notamment dans l’acceptation des souffrances, de la Passion et de la mort sur la croix. Cette obéissance répond à la désobéissance d’Adam et contribue à délivrer la nature humaine des effets de celle-ci.
L’économie salvatrice du Verbe incarné paraît avoir pour fonction essentielle selon Maxime, de restaurer ou de rénover la nature humaine, de lui restituer l’état où elle se trouvait originellement au sortir des mains de Dieu, de la rendre telle qu’elle était en Adam avant sa faute, de la rétablir en son état primitif.
Le Christ réalise une purification de la nature, une expulsion, une abolition, une ablation, une dissolution, une destruction, ou un anéantissement de tout ce qui lui est essentiellement étranger, autrement dit de ce qu’elle n’avait pas à l’origine mais qui s’est surajouté à elle à cause du péché et constitue sa condamnation.
« Une loi de justice divine […] s’est manifestée, anéantissant totalement la loi que la transgression a introduite dans la nature ». Le Christ par ailleurs S’est fait baptiser « pour abolir l’engendrement à partir des corps ». D’autre part, Il a accepté une peine et une mort injustes afin « qu’elles abolissent totalement le commencement très injuste dû au plaisir et la fin très juste, à cause d’elle, de la nature, par la mort, et que le genre humain soit libéré du plaisir et de la douleur, l’heureux sort reçu par la nature à l’origine n’étant plus souillé par aucune des marques des choses soumises à la genèse [par plaisir] et à la corruption ».
Comme la plupart des Pères orientaux, Maxime voit dans l’œuvre salvatrice du Christ une guérison de la nature humaine, qui élimine donc ses maladies et ses blessures, mais aussi, corrélativement, lui rend sa santé originelle. « En sa libre volonté [Il] a choisi de S’abaisser pour nous hommes et S’est fait homme pour le redressement et le renouvellement, et non pour une complémentation du tout. Car c’est par mode d’économie et non par loi de nature qu’ineffablement le Verbe de Dieu est venu vers les hommes par la chair ». Il dit encore « Dieu en quelque sorte réunit sur moi le logos de mon être et celui de l’être-bien, et comble leur séparation et leur distance venues de moi, et ainsi les porte ensemble dans le logos du toujours-être »
V – Les Fondements Christologiques de la divinisation II
Le mode de la divinisation de la nature humaine du Christ
Le souci de Maxime d’affirmer l’intégralité et l’intégrité de la nature humaine assumée par le Verbe lui permet aussi d’affirmer que cette nature elle-même avec tous ses constituants essentiels a bien été divinisée. Si les propriétés essentielles de la nature humaine, et, parallèlement, celles de la nature divine, ne se maintenaient pas, on aurait affaire à une nature intermédiaire composée des deux essences, qui ne serait ni divine, ni humaine, et que nul ne saurait imaginer.
Ce qui est parfaitement clair, au total, c’est que pour Maxime, en étant divinisé, la nature humaine ne change pas de logos et ne devient pas divine par essence, ne devient pas consubstantiellement à la nature divine. Cette conception sera entérinée et proclamée comme article de foi par le VIe concile œcuménique (Constantinople III)
L’insistance de Maxime sur le fait que l’union des natures en Christ est accomplie « selon l’hypostase », contribue déjà à donner à la position maximienne une précision et une subtilité que l’on ne trouve pas chez ses grands prédécesseurs. C’est en effet par l’hypostase du Verbe que la nature humaine est assumée et enhypostasiée ; c’est selon cette hypostase que les deux natures, divine et humaine , sont étroitement unies, qu’elles peuvent se compénétrer, et que la seconde peut ainsi être divinisée ; mais c’est aussi que parceque leur union est selon l’hypostase que chacune des deux natures et de leur non séparation allant toujours de pair, dans les textes de Maxime, avec l’affirmation de leur distinction et de leur non-confusion.
« Le Christ et les natures » introduit par Maxime. Confesser que le Christ est de divinité et d’humanité. Confesser qu’Il est « en deux natures » c’est affirmer qu’il existe en divinité et en humanité , en Sa divinité et en Son humanité, qu’Il est toujours en l’une et l’autre de Ses natures comme un tout en ses parties ou à travers ses parties, et qu’on Le reconnaît comme non divinisé après l’union des natures qui Le constituent, autrement dit qu’Il est Dieu et homme à la fois. Confesser que le Christ est les natures, c’est affirmer qu’Il est réellement et pleinement Dieu et réellement et pleinement homme et que « le même est à la fois Dieu et homme ».
Saint Maxime insiste particulièrement sur le fait, que l’union en une hypostase composée n’abolit pas la différence des natures, mais sauvegarde leur principe essentiel (ou logos) et leur permet de conserver inaltérées leurs propriétés respectives, sans pour pourtant que cela implique leur séparation.
Si l’unique hypostase du Christ, l’hypostase de l’union, n’est pas une hypostase nouvelle, mais l’hypostase même du Verbe, existant de toute éternité avant l’union, cela signifie qu’elle est l’hypostase de la nature humaine du Verbe autant que celle de Sa nature divine, que la nature humaine n’a pas d’hypostase propre en dehors de cette hypostase, et qu’elle n’en a jamais eu, autrement dit qu’elle n’a pas préexisté à l’Incarnation. Ainsi ce n’est pas par la caractéristique propre d’une hypostase humaine que la nature humaine du Christ se distingue de celle des autres hommes, mais par celle de son hypostase divine. C’est de l’hypostase du Verbe que la nature humaine du Christ prend son existence et tient sa subsistance. Autrement dit la nature humaine du Christ est enhypostasiée.
Alors que la notion d’hypostase désigne à la fois, selon Saint Maxime, « ce qui est par soi-même, de manière distincte et constituée » et « une essence avec ses idiomes différant, par le nombre, des êtres du même genre », la notion d’enhypostasié désigne « ce qui n’est pas fondé en soi, mais que l’on peut voir en d’autres, comme une espèce dans les individus sous elle », ou bien, et c’est ici le cas « ce qui est en composition avec un autre différent selon l’essence pour la genèse de quelque tout ».Cette notion permet de comprendre que la nature humaine est assumée par le Verbe lui-même.
Comment dans le Christ la nature humaine peut venir à l’existence et subsister sans hypostase humaine, par et dans l’hypostase du Verbe, et comment aussi la nature humaine peut être celle du Verbe autant que la nature divine, et dans l’hypostase du Verbe être unie étroitement à celle-ci tout en ne se confondant pas avec elle, tout en conservant, comme elle, ses propriétés essentielles ou son logos.
C’est en assumant la nature humaine, qui est enhypostasiée, que l’hypostase du Verbe auparavant simple, devient hypostase composée, composée de la nature humaine, comme un tout de ses parties.
Maxime parle comme d’une pénétration de la nature divine par la nature humaine, afin de montrer comment le Christ peut opérer d’une manière surhumaine ce qui est humain, ce qui rejoint son idée déjà rencontré que l’humanité du Christ n’était pas « simple » comme la nôtre, mais entièrement divinisée dans ses puissances et ses opérations du fait de son union selon l’hypostase avec la nature divine.
« Il opère au-dessus de l’homme ce qui est de l’homme en montrant l’opération humaine adhérente, sans changement, selon une extrême union, à la puissance divine, puisque la nature la pénètre complètement, n’ayant jamais rien de séparé, ni d’éloigné de la divinité unie à elle selon l’hypostase ».
On peut déduire que la divinisation de la nature humaine est bien une divinisation réelle, qui s’accomplit par la communication des idiomes, du fait de l’étroite l’union, selon l’hypostase des natures et de leurs propriétés, mais que cette divinisation n’altère pas la nature humaine quant à ses caractéristiques essentielles, préserve son logos propre, et ne l’empêche pas d’opérer conformément à son essence propre, autrement dit qu’elle ne la transforme pas en la nature divine. Dans l’hypostase du Christ est atteinte « une étroite appropriation » des deux qui amène dans les natures une compénétration vivante, un échange réciproque des propriétés, comme cela se produit entre le feu et le fer incandescent qui s’y trouve. On peut même parler avec les Cappadociens d’une sorte de « mélange de deux natures », en conséquence duquel il ne peut plus être question d’une pure différence, mais qui fonde plutôt une communion intime de l’être et une coopération. C’est sur cette compréhension mutuelle que repose la possibilité de la « communication échangeable » des noms qui appartiennent en propre à chacune des natures.
Il convient de noter en outre que la communication des idiomes, l’échange ou la périchorèse réalisent une communion des natures par le biais de l’hypostase qui leur est commune, et ne peuvent se produire que grâce à l’union selon l’hypostase.
Le fait que la nature humaine du Verbe incarné elle-même est réellement divinisée en raison de son union et sa périchorèse avec Sa nature divine selon l’hypostase et le fait que, corrélativement la nature humaine conserve, tout comme la nature divine, ses propriétés essentielles, que son logos n’est pas altéré, mais subsiste intact, autrement dit le fait qu’elle est profondément changée et reste en même temps essentiellement la même, constitue une antinomie dont Maxime trouve une solution dans la distinction entre logos et tropos.
Le couple logos-tropos a généralement pour fonction de rendre compte du fait qu’une réalité d’ordre naturel puisse accéder à un mode d’existence nouveau, surnaturel, tout en demeurant la même quant à son essence. Maxime utilise le couple logos-tropos le plus souvent en relation avec le mode nouveau de conception et d’engendrement du Verbe dans la chair qui constitue une innovation de la nature humaine préservant son logos.
« [Le Christ] opère d’une façon surhumaine ce qui est de l’homme en montrant l’opération humaine adhérente, sans changement, selon une extrême union, à la puissance divine, puisque la nature [humaine], unie sans confusion à la nature [divine], la pénètre complètement, n’ayant jamais rien de séparé ni d’éloigné de la divinité unie à elle selon l’hypostase. Assumant vraiment pour nous notre essence, le Verbe suressentiel a uni à l’affirmation de la nature et des ses propriétés naturelles leur négation excellente et Il est devenu homme, unissant le tropos surnaturel du comment être au logos de l’être de la nature, en sorte que l’on croie que par la nouveauté des tropoi, la nature ne recevait pas d’altération selon le logos, et qu’Il montre pareillement la puissance surinfinie également connue par la genèse, des contraires […]. Car le Verbe suressentiel, selon une conception ineffable, S’est revêtu avec la nature humaine de toutes les [propriétés] de cette nature ; et de tout ce qu’Il possédait alors d’humain, affirmé positivement par un logos naturel, il n’y avait rien qui ne fût aussi divin, exprimé négativement par un tropos surnaturel »
Maxime note aussi : « Il n’était pas homme, parceque par nature Il n’était pas lié aux nécessités de notre nature ni soumis à la loi de notre naissance ; ‘il n’était pas non homme’ puisqu’il était vraiment homme en son entière essence, ayant reçu par nature tout ce qui est de notre nature ; ‘issu des hommes’ puisque consubstantiel à nous, homme comme nous selon la nature ;’au-delà des hommes’ par une nouveauté des tropoi , circonscrivant non comme pour nous la nature ; et ‘devenu vraiment homme d’une façon surhumaine’, ayant, liés ensemble indestructiblement, les tropoi [qui sont] au-dessus de la nature et les logoi [qui sont] selon la nature, dont l’association était impossible. Lui, à rien qui n’est impossible, devenu union véritable, opérant sans nulle sécession d’avec aucune des natures dont Il était l’hypostase, bien plutôt les confirmant l’une par l’autre ».
« Dans le Seigneur, les réalités naturelles ne l’emportent pas, comme en nous, sur le vouloir, mais de même qu’ayant eu vraiment faim et soif, ce n’est pas selon notre tropos à nous qu’Il a eu faim et soif, mais le tropos qui nous dépasse, car c’était de son plein gré ; ainsi, en proie à une véritable frayeur, ce n’est pas comme nous mais d’une manière qui nous dépasse qu’Il a éprouvé la frayeur. Et, pour parler en général, tout ce qu’il y a de naturel dans le Christ a aussi, lié au logos qui s’y trouve, le tropos qui dépasse la nature, afin que la nature soit confirmée par le logos et l’économie par le tropos ».
Lorsque Maxime, tentant de résoudre autant qu’il est possible la contradiction d’une nature qui peut être réellement divinisée sans pour autant perdre ses caractéristiques essentielles, utilise la notion de tropos, il ne sort pas de cette compréhension entitative de la divinisation : car ce qui est changé, c’est bien le tropos de la nature hypostasiée, son mode d’être, son « comment être » et son « comment subsister ».
Selon la conception « physique » de la divinisation adoptée par Maxime, la nature humaine du Verbe est divinisée, selon Sa volonté divine, du fait même de l’union hypostatique, dès le moment où s’opère cette union, donc sans que la volonté humaine ait pu le vouloir. Néanmoins la volonté et les puissances humaines du Verbe ont un rôle actif à jouer dans la divinisation de Sa nature humaine qui s’accomplit par l’union hypostatique.
Premièrement, le Verbe incarné, par Sa volonté humaine comme par Sa volonté divine, consent au dessein divin et paternel, non seulement du salut des hommes, mais de leur divinisation, et tend divinement et humainement à accomplir ce projet.
Deuxièmement, le Verbe selon Sa volonté humaine consent en acte et en permanence à la divinisation que Sa nature humaine, avec toutes ses puissances (dont la volonté elle-même) et ses opérations, a reçu « a priori » du fait de son union selon l’hypostase avec la nature divine. D’où l’insistance fréquente de Maxime sur l’accord permanent de la volonté divine et paternelle, accord qui s’accomplit à la fois au plan naturel et au plan personnel.
VI – Les fondements Christologiques de la divinisation III
Relation entre la divinisation de la nature humaine du Christ et la divinisation des hommes
Unissant en Lui la nature humaine à la nature divine, le Verbe incarné apparaît comme le médiateur entre Dieu et les hommes, comme Celui par qui et en qui seul désormais les hommes peuvent accéder à la divinisation.
Nous avons vu que selon le dessein divin, Adam aurait pu être divinisé par le Verbe « directement », c’est-à-dire sans la médiation de Son Incarnation ; nous avons vu aussi que les Justes de l’Ancienne Alliance ont pu être, exceptionnellement, divinisés par le Verbe non incarné.
A travers les textes de Maxime, il apparaît qu’en Lui-Même, par le biais de la nature humaine qu’Il a assumé, le Verbe sauve et divinise la nature humaine tout entière et que le salut et la divinisation deviennent accessibles à tous les hommes en Lui par cette nature humaine sauvée et divinisée.
Pour Maxime, le Verbe n’assume pas une nature humaine déjà individualisée, cette individualisation se faisant chez les hommes ordinaires par la synthèse hypostatique de l’âme et du corps. C’est l’hypostase du Verbe qui donne son caractère concret et singulier à la nature commune au moment où elle est assumée par Lui ; préalablement, la nature humaine est dépourvue de caractères particuliers ; elle est donc bien la nature commune. Une fois enhypostasiée, la nature humaine reçoit des particularités hypostatiques, mais elle les reçoit de l’hypostase divine, ce qui la particularise, c’est-à-dire la distingue et la différencie, mais ne l’individualise pas.
Le Christ a la possibilité, n’étant pas un individu, non seulement d’unir en Lui les deux natures divine et humaine, mais encore d’unir en Sa nature humaine tous les hommes. Il ne s’agit plus de la divinisation de la nature humaine du Verbe du fait de l’union selon l’hypostase avec la nature divine, mais de la divinisation de toute l’humanité dans la nature humaine du Verbe.
Maxime note fréquemment que Dieu S’est fait homme pour que l’homme devienne dieu.
VII- Les fondements pneumatologiques de la divinisation
La divinisation de l’homme répond, selon Maxime à un projet du Grand Conseil trinitaire. Les trois personnes divines contribuent ensemble, chacune selon un mode propre, non seulement à la définition de ce projet, mais encore à sa réalisation. Le Verbe « est venu diviniser totalement la nature que Lui, de Sa propre volonté, avec la bienveillance du Père et la coopération de l’Esprit, S’était unie en une seule et même hypostase avec tout ce qui lui est inhérent par nature ».
C’est « par l’Esprit », note Maxime que le Christ « a conduit au Père les hommes qu’Il a réconciliés avec Lui ». En retour, c’est « dans le Saint Esprit » que les hommes peuvent recevoir les biens dont Dieu le Père est en Lui le dispensateur. La grâce divine est accordée aux hommes comme dons de l’Esprit par le Christ dans l’Eglise qui est Son corps et dont Il est la tête.
Cette grâce de l’Esprit communiquée dans l’Eglise aux fidèles, est celle du salut obtenu par le Verbe incarné en Son économie. Ses effets sont d’abord purificateurs : « A la façon d’une lampe dissipant la ténèbre, toute énergie de l’Esprit expulse de l’Eglise la genèse multiforme du péché et l’élimine ». Elle est ensuite pour les fidèles la source des vertus ainsi que de la connaissance des êtres, d’eux-mêmes et de Dieu. Cette grâce de l’Esprit est finalement celle de leur divinisation.
Il faut souligner le rôle fondamental joué par l’Esprit dans le baptême, sacrement qui donne au baptisé d’être incorporé à l’Eglise, corps du Christ, et d’y recevoir les effets de l’œuvre salvatrice que le Verbe incarné, en Sa propre hypostase, a acquise à l’humanité qu’Il a assumée, et en particulier d’être régénéré, c’est-à-dire de connaître une nouvelle naissance, spirituelle, se substituant à la naissance charnelle consécutive au péché ancestral. Cette régénération du baptisé s’accomplit en Christ, mais elle est l’œuvre de l’Esprit.
Parmi les autres effets du baptême, nous trouvons mentionnées par Maxime :
« Q/ Puisqu’il est écrit dans l’Evangile : ‘ Si l’on ne naît d’eau et d’Esprit’ (Jn 3,5), et dans un autre passage : ’Celui-là vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu’ (Mt 3,11 ; Lc3,16), je demande à apprendre quelles est la différence. R/ Venant en chacun, le Saint Esprit, comme eau nettoie la souillure de la chair, comme Esprit lave les tâches de l’âme, comme Esprit Saint [lui] propose les modes des vertus, comme feu [le] fait dieu par grâce, faisant briller sur lui les marques divines de la vertu ».
Le baptême ne correspond pas seulement à l’octroi d’une vie nouvelle, mais encore au don de « la grâce de l’adoption filiale pour la divinisation ».
Maxime explique qu’en fait la grâce de l’adoption filiale donnée au baptême est potentielle et requiert pour être actualisée le libre choix du baptisé. « Car l’Esprit n’engendre pas une gnômè qui ne le veut pas, mais Il transforme pour la divinisation celle qui le souhaite ». On peut parler en réalité d’une synergie de la grâce de l’Esprit et de la libre volonté de la personne qu’Il purifie, sanctifie et finalement divinise.
A tous les chrétiens, est donnée par l’Esprit, par la foi et le baptême la grâce de l’adoption filiale acquise à l’humanité par le Christ. Mais à ceux-là seuls d’entre eux qui auront « gardé [cette] grâce reçue au baptême et gardée inviolée à travers maintes afflictions [cette] adoption filiale reçue par l’Esprit Saint », autrement dit à ceux qui auront renoncé au péché et combattu le diable, qui auront appliqué les commandements, rejeté les passions, pratiqué les vertus (en particulier la charité), acquis la connaissance, bref, accomplit en tout la volonté divine, « l’adoption filiale sera donnée concrète et réelle selon le don et la grâce du Saint-Esprit » ; ceux-là seuls seront par l’Esprit effectivement unis à Dieu et divinisés ».
A un degré supérieur (qui suppose que l’âme et l’intelligence soient purifiées, et que les vertus soient mises en pratique), le Saint-Esprit est celui qui donne la connaissance. Il est d’abord le donateur de la connaissance des êtres. Il est aussi le donateur à l’homme de la connaissance de soi. Il donne au fidèle, à travers la connaissance des êtres et de lui-même, d’accéder à la connaissance de Dieu par ses énergies manifestées dans les êtres. Ces trois ordres de connaissance sont inclus dans la sagesse dont l’Esprit Saint est le donateur par excellence.
Maxime présente à plusieurs reprises le Saint-Esprit comme Celui qui perfectionne spirituellement le chrétien, en accord avec l’intention bienveillante du Père jusqu’à le conduire à la perfection suprême qui est celle de la divinisation. Le Saint Esprit fait connaître Dieu au chrétien au-delà de toute connaissance, l’unit à Lui, le transforme et le divinise par les rayons de la lumière divine dont Il irradie, et qui ne sont autre chose que la grâce de Dieu.
VIII- Les fondements ecclésiologiques et sacramentels de la divinisation
Dans l’œuvre de Maxime, les chrétiens constituent les membres du corps du Christ, et l’Eglise est ce corps du Christ. Il en découle que c’est seulement en devenant chrétiens, en appartenant à l’Eglise que les hommes peuvent être incorporés au Christ et recevoir de Lui et en Lui les dons du Saint Esprit en plénitude. C’est dans l’Eglise que l’homme peut recevoir les moyens de son salut, la purification, les vertus et la connaissance de Dieu, et tout ce qui peut l’acheminer vers cette divinisation. Tout le progrès spirituel de l’âme s’y accomplit jusqu’au plus haut degré. D’un autre côté, l’Eglise selon Maxime, « porte l’empreinte et l’image de Dieu, puisqu’elle a la même activité que lui par imitation et par représentation ». et il conseille « Ne nous éloignons pas de la sainte Eglise de Dieu qui renferme dans le saint ordre des différents symboles qui s’y accomplissent, les mystères de notre salut, par lesquels, formant selon le Christ chacun de nous qui se conduit dignement d’après sa compréhension, elle met au jour la grâce de l’adoption qui nous a été donnée par le saint baptême dans l’Esprit Saint ; mais de toutes nos forces et notre zèle rendons-nous dignes des divines grâces, plaisant à Dieu par de bonnes actions».
Ce n’est cependant que dans les trois dernières étapes de la liturgie que l’on entre à proprement parler dans le domaine de la divinisation. La prière du Notre Père correspond à préfiguration et à une réception partielle de l’adoption filiale par grâce au plus haut degré de la vie spirituelle.
La proclamation du « Un seul saint » représente l’union suprême à Dieu et la vision de la lumière de Sa gloire.
La communion eucharistique enfin correspond à la divinisation de l’homme proprement dite.
Le baptême
C’est par le baptême que se fait l’entrée de l’homme dans l’Eglise ; c’est par lui qu’il est incorporé au corps du Christ et peut recevoir la grâce du salut et de la divinisation qu’Il a octroyé en Lui-Même à la nature humaine.
L’œuvre salvatrice du Christ est conçue par Maxime, comme par la plupart des Pères grecs, comme une libération de la nature par rapport à sa condition déchue et comme une restauration de sa condition originelle. En plus de cette restauration, le Verbe incarné accomplit en Lui-même ce qu’Adam n’a pas voulu accomplir et qui lui était proposé comme tâche : la nouvelle naissance selon la filiation en Esprit.
Cette œuvre suppose que le Verbe d’une part assume la nature humaine et d’autre part soit baptisé. Ce bénéfice est double : il libère la nature humaine des liens de l’engendrement charnel ; il confère à l’homme l’adoption filiale dans l’Esprit.
Le baptême se fondant d’une part sur le mode nouveau de la naissance du Verbe incarné et d’autre part sur ses souffrances et sa mort :
1) délivre le baptisé de l’engendrement charnel qui lui a transmis les effets du péché ancestral ;
2) le libère de l’emprise de la mort résultant de cet engendrement charnel, et de l’usage de cette mort qui le pousse au péché et aux passions ;
3) a pour conséquence que les souffrances et la mort biologique, sans cesser d’exister, changent de nature, et au lieu d’être condamnation à cause du péché, deviennent condamnation du péché
On voit à présent comment les trois plans – anthropologique, métaphysique et christologique – de la pensée de Maxime s’articulent, comment les trois naissances de l’homme, la triade être,être-bien,toujours-être, et ce que l’on peut appeler les trois naissances rédemptrices du Christ se correspondent : la naissance du Christ dans la chair correspond au logos de l’être et à la naissance de l’homme à partir des corps ; le baptême du Christ correspond au logos de l’être-bien et à la renaissance spirituelle de l’homme dans le baptême ; la Résurrection du Christ correspond au logos du toujours-être et à la résurrection future de l’homme.
Les effets du baptême : le premier est la purification ; il libère de l’emprise du péché ; il supprime les passions ; il élimine les mauvaises actions ; par sa grâce sont repoussés les bêtes féroces intelligibles, c’est-à-dire les démons. Les effets du péché affectant l’âme et le corps, la purification baptismale concerne l’un et l’autre.
Le deuxième effet du baptême est l’illumination. C’est à elle que l’on peut rattacher le fait que le baptisé, purifié des passions, est remis en possession des vertus. A l’illumination se rattachent aussi et plus directement, la sagesse et la connaissance dont Maxime affirme qu’elles sont dispensées par l’Esprit Saint au baptême.
Un autre effet essentiel du baptême est l’adoption filiale. « Illuminés par le bain divin de la régénération », ils sont « rendus dignes d’être adoptés par Dieu dans l’Esprit ».
Le thème de la synergie (collaboration de la libre volonté de l’homme avec la grâce divine) est fortement présent dans la plupart des textes de Maxime. Il appartient au libre choix du baptisé de conserver cette grâce et de la faire fructifier, de veiller avec amour sur la grâce donnée. En effet, « la grâce du saint baptême efface l’emprise du péché », mais ne supprime pas la possibilité de pécher. Le péché perd son pouvoir sur l’homme, mais l’homme conserve le pouvoir de pécher.
La tâche de l’homme n’est pas seulement de conserver intacte la grâce du baptême, elle est aussi de la faire fructifier : « par la pratique attentive des commandements, [Dieu] embellit la beauté donnée par grâce ». L’incorruptibilité reçue au baptême est potentielle ; son actualisation, quoique accomplie par la grâce, suppose la participation de notre volonté dans la mortification des passions et la pratique des vertus. En résumé, la grâce, présente en l’homme par le baptême, opère tout bien en lui, mais à condition qu’il la laisse agir, qu’il s’ouvre personnellement à elle. L’actualisation de la grâce, qui correspond à l’acquisition de la ressemblance à Dieu, s’opère par la vertu et la connaissance jusqu’à l’adoption filiale et la divinisation.
La communion
Dans la communion eucharistique, la personne du Verbe et Dieu Lui-Même Se communique à l’homme dans la réalité concrète de Sa divino-humanité, vient tout entier habiter en l’homme tout entier et par là l’assimile à Lui, le transforme en Lui-Même, fait de lui un dieu par grâce.
Pour Maxime, la communion est le sacrement divinisateur par excellence et pour le fidèle, dans le prolongement du baptême et en achèvement de celui-ci, la source principale de la divinisation. Il note encore que l’eucharistie « transforme en elle-même et rend semblables, par grâce et par participation, au Bien causal ceux qui y participent dignement. Il ne leur manque rien de ce Bien pour autant que cela peut être atteint et est possible aux hommes. De sorte qu’ils peuvent être et être appelés dieux par position et par grâce, parceque Dieu tout entier les remplit entièrement et ne laisse vide de Sa présence aucune partie d’eux-mêmes ».
Cependant, comme dans le cas du baptême, elle ne manifeste ses effets pour la personne qui l’a reçue que dans la mesure où celle-ci en est digne, c’est-à-dire possède une foi ferme, a acquis la pureté requise par rapport au péché et aux passions, vit de manière stable selon les vertus et a accédé à la contemplation et à la connaissance.
IX – Les fondements ascétiques et théorétiques de la divinisation
Maxime insiste fréquemment sur la nécessité de l’effort et de l’activité personnelle de l’homme pour que la grâce qui lui est donnée puisse agir en lui et qu’il puisse recevoir en acte le salut, la filiation et la divinisation qui lui ont potentiellement accordés. Il pense même que l’action de la grâce est proportionnelle à la foi du récepteur et à cet effort personnel qui concrétise cette dernière. Il note : « Chacun à proportion de la foi qui est en lui, possède l’énergie de l’Esprit se manifestant au grand jour ». « Le mystère du Salut écrit-il encore, appartient à ceux qui le veulent et non à ceux qui le subiraient de force ». L’homme doit entreprendre une démarche personnelle vis-à-vis de Dieu et de la grâce qu’Il octroie, une démarche volontaire et libre. Maxime insistant fortement sur le rôle de la volonté et du libre arbitre de la personne, de son choix et de sa disposition de vouloir. Il va même jusqu’à affirmer : « En définitive, notre salut est au pouvoir de notre volonté ». C’est selon son libre choix qu’Adam, rappelons-le, devait naître en Esprit et être finalement divinisé.
Maxime souligne à plusieurs reprises que le salut et la divinisation, s’ils ne sont pas l’effet de la volonté humaine, mais de la seule grâce, doivent néanmoins être recherchés et demandés. Car « ce que nous ne cherchons pas, nous ne le trouvons pas non plus : la porte du Royaume des cieux ne s’ouvre pas si nous ne frappons pas ». La personne doit s’ouvrir à la grâce. Elle doit s’attacher à Dieu et à Ses biens. Le baptisé a pour tâche de tenir « son libre choix tout entier conformément à la naissance » en Esprit qui lui a été donnée. Il s’agit donc pour chaque chrétien de conserver la grâce et de la faire fructifier.
La personne doit librement s’ouvrir à l’énergie reçue de l’Esprit et développer en elle-même les conditions qui lui permettront d’en éprouver consciemment les effets pour que cette énergie effectue réellement en elle ses effets de purification et de perfectionnement. Tout cela demande un labeur habituel et un effort comme indissociables de la grâce de l’Esprit. La personne doit s’efforcer en premier lieu de se tenir à l’abri de tout péché, de se purifier de ses passions et de virer selon les vertus et singulièrement l’amour qui est la plus haute d’entre elles.
A la pratique des vertus correspond l’acquisition volontaire de la ressemblance à Dieu dont la fonction déificatrice est souvent évoquée par Maxime.
Le fidèle doit ensuite s’efforcer d’atteindre la contemplation et la connaissance, le rôle de cette dernière étant essentiel pour la divinisation.
La divinisation requiert globalement de la part du baptisé, un genre de vie divin. L’Esprit Saint, dit Maxime « n’est qu’en ceux qui […] par le genre de vie divin se rendent dignes de l’inhabitation divinisante ». On notera que lorsqu’il s’agit de la divinisation de l’homme, Maxime note pratiquement toujours que celle-ci est accordé aux « dignes », la « dignité » résumant les conditions que la personne doit de son côté remplir pour recevoir pleinement et actualiser la grâce qui le divinise, même si cette dignité peut, d’un certain point de vue, être elle-même considérée comme un don de Dieu.
La communion et l’union avec le Christ, opérées par le Saint Esprit, d’où procède la divinisation, connaissent des degrés variables parce qu’ils sont proportionnels à la capacité et à la dignité spirituelles de chacun : « Chacun selon sa propre capacité et la grâce que lui accorde l’Esprit selon sa dignité, possède analogiquement le Christ qui le fait accéder en haut […], ».
Selon Maxime, malgré la différence qui existe entre eux, il n’y a pas de discontinuité entre l’ordre de la nature et l’ordre de la grâce dans la mesure où celui-ci permet l’accomplissement de celui-là. L’ordre naturel paraît lui-même relatif à l’ordre « christique », le Verbe incarné étant venu rétablir la nature en ce qu’elle était à l’origine et lui redonner, en renouvelant ses puissances, la possibilité d’accomplir son destin spirituel, réalisant même en la nature qu’Il a assumé cet accomplissement en sa plénitude.
Le baptisé est celui qui a reçu de l’Esprit d’être enté au corps du Christ et de recevoir en Lui ce renouvellement de la nature, et, potentiellement, cet accomplissement. L’ordre ascétique paraît lui-même en continuité avec l’ordre naturel puisque se conformer au logos de nature, c’est se comporter non seulement de manière raisonnable (terme qui en grec dérive de logos) et conforme à la nature, mais encore de manière juste et bonne ; il se définit d’autre part par rapport à l’ordre « christique », puisque le Christ présente en Lui-même l’archétype de ce tropos conforme au logos de nature, puisque Sa conduite et Sa façon d’être sont offertes comme modèles de ce comportement juste et bon, puisqu’Il donne à chacun le moyen de l’accomplir et est la source même des vertus que chaque personne doit faire fructifier en elle.
La praxis
Fréquemment jointe à celle de la contemplation, elle constitue le premier degré de la vie spirituelle, s’identifie à la pratique des commandements ou encore à l’ascèse, laquelle ne consiste pas seulement dans les actes de mortification corporelle (jeûne, veilles, travail, etc.) mais dans une œuvre servant d’une part à combattre les passions et en purifier le nous, l’âme et le corps, et d’autre part à pratiquer les vertus. Ceci étant la finalité de cela, la vie vertueuse peut être considérée comme constituant, aux yeux de Maxime, l’essentiel de la praxis. « Le mystère de notre salut, note-t-il, montre que la praxis est une contemplation active, et que la contemplation est une praxis mystagogique, en un mot que la vertu est la manifestation de la connaissance, que la connaissance est la puissance qui préserve la vertu, et que les deux, je veux dire la vertu et la connaissance, manifestent une unique sagesse ». « Réunies, elles irradient une seule et même gloire de Dieu ».
Il n’est pas surprenant dès lors que Maxime reconnaisse à la praxis elle-même une fonction essentielle et, peut-on dire, immédiate par rapport à la divinisation. La seule purification des passions, considérée par ailleurs comme ayant fin essentielle à l’acquisition des vertus, se voit attribuer à sa mesure par Maxime, une fonction déificatrice.
La foi
Au fondement de la vie spirituelle, et partant de la praxis, il y a la foi. Le salut et la divinisation apparaissent corrélativement comme la fin de la foi.
Par la foi tout d’abord, celui qui devient chrétien et est baptisé, bénéfice de la présence active du Saint Esprit et accède par Lui à une filiation et une divinisation potentielles. Dans le même ordre d’idées, Maxime reconnaît à la foi engagée dans la pratique des vertus d’engendrer le Verbe dans l’âme du fidèle. Envisageant parallèlement la foi en tant qu’agissante par la pratique des commandements, Maxime lui reconnaît très clairement le pouvoir d’unir le fidèle à Dieu et va jusqu’à l’assimiler au royaume de Dieu lui-même. Maxime affirme que la foi « peut engendrer naturellement dans les hommes le suprême état déiforme ».
La pratique des commandements
Maxime note que le Verbe de Dieu « naît [dans l’âme] par l’exercice des commandements ». Il évoque « ceux qui ont vraiment cru dans le Christ et L’ont tout entier fait demeurer en eux-mêmes par les commandements »
L’obéissance du fidèle à Dieu, éprouvée en particulier dans la pratique de Ses commandements, est évidemment à mettre en rapport direct avec l’obéissance du Christ et de Son humanité à Dieu et à Son Père et dans sa divinisation. Il s’agit pour le fidèle de suivre la voie que le Christ montre aux hommes par Sa propre obéissance, obéissance par laquelle Il a notamment guéri le libre arbitre humain de son inconstance et de ses déviations.
La fonction essentielle de l’obéissance est d’orienter le choix du fidèle vers Dieu, de mettre en tout sa volonté en conformité avec la volonté de Dieu, et de permettre ainsi en tout l’accomplissement de cette dernière dont le but ultime est précisément, la divinisation de l’homme. Elle est aussi, corrélativement, de manifester la mesure et la qualité de l’amour du fidèle pour Dieu, amour qui l’unit à Lui et contribue pour une grande part, à sa divinisation.
La purification des passions
La fonction la plus immédiate de la pratique des commandements est la purification des passions dont la finalité est à la fois l’impassibilité, mode de pureté intérieure et condition de la contemplation et de la connaissance, et l’acquisition corrélative des vertus.
Maxime voit dans l’union à l’Esprit et la naissance spirituelle, divine, selon laquelle le fidèle devient par grâce sans parents et sans généalogie charnels (parce que par grâce il est devenu fils de Dieu), un effet de l’élimination des passions, c’est-à-dire de toute relation à la chair et au monde, en tant qu’une telle relation fait obstacle à l’amour de Dieu et à l’union à Lui. Il ne faut pas oublier que, d’une part, selon les Pères, la pureté intérieure est la condition première et indispensable de la réception de la grâce, et que, d’autre part, pour Maxime les passions sont des excroissances contre nature qu’il suffit au fidèle d’éliminer pour mettre au jour les vertus qui sont naturellement en lui, du moins germinativement.
Les vertus
Nous avons vu que pour Maxime les vertus se trouvent dès l’origine tel des germes insérés dans la nature humaine, les différentes facultés de celle-ci étant alors orientées vers Dieu, la personne ayant pour tâche, par son mode d’existence, de confirmer cette orientation et de faire croître en elle ces vertus.
Il revient au baptisé, librement de vivre continuellement selon ces vertus, et d’acquérir aussi pleinement, en plus de l’être, l’être-bien. Les vertus se rapportent en effet, dans la triade être, être-bien, toujours-être. Les vertus rendent l’homme digne de l’adoption filiale par Dieu. Il qualifie les vertus de « déifiantes » et évoque « la grâce du Saint Esprit selon laquelle, toute particularité humaine étant vaincue et couverte par la venue en eux de la grâce, seront appelés et seront réellement fils de Dieu tous les saints qui, par leurs vertus, se seront ornés dès à présent, splendidement et glorieusement, de la beauté divine de la bonté ». On trouve dans plusieurs extraits, une première raison du pouvoir divinisant des vertus : elles réalisent une assimilation, une conformation du fidèle au Christ et à Dieu.
D’un autre point de vue les vertus apparaissent à Maxime comme une source essentielle de divinisation parce que par elles le Christ naît ou S’incarne d’une certaine façon dans le fidèle. A savoir que les vertus les plus hautes sont la bonté et la sagesse qui sont en leur fondement des propriétés divines, et que par conséquent celui qui les acquiert devient participant par grâce de ce que Dieu est par nature. Les vertus contribuent dans une large mesure à la divinisation de l’homme, mais ne suffisent pas à assurer cette divinisation. D’une part, parce que la connaissance constitue à cette fin leur complément indispensable, d’autre part parce que la divinisation dans sa plénitude se situe au-delà des vertus.
La place privilégiée de l’amour
Parmi les vertus l’amour joue pour Maxime un rôle de premier plan dans la divinisation, en tant qu’il est la vertu la plus générale, le sommet, la fin et la somme de toutes les vertus, et aussi la vertu par laquelle l’homme s’assimile et s’unit le plus à Dieu. Maxime accorde encore une très grande importance à l’amour du prochain et souligne à maintes reprises qu’il est indissociable de l’amour de Dieu.
Il note que par l’amour, l’homme imite l’amour de Dieu pour les hommes en général et l’amour du Verbe qui S’est incarné pour eux en particulier. Imitant l’amour de Dieu, l’amour de l’homme pour Dieu et pour le prochain réalise au plus haut point l’assimilation à Dieu qui est amour. Il est à remarquer que Maxime établit une corrélation très étroite entre l’amour divinisant de l’homme pour Dieu et l’amour inhominisant de Dieu pour l’homme qui se manifeste dans l’incarnation du Verbe.
C’est en fait la plupart des propriétés divines elles-mêmes synthétisées par l’amour, que le fidèle acquiert par celui-ci : « Le nous uni à Dieu et qui passe avec Lui tout son temps dans la prière, et l’amour devient sage, bon, puissant, ami de l’homme, compatissant, longanime, et, en un mot, porte en lui-même à peu près toutes les propriétés de Dieu ». Pour Maxime, l’amour est un état qui subsiste jusqu’au sommet de la vie spirituelle et de manière définitive.
La theôria
La theôria généralement conçue par Maxime comme la contemplation naturelle, comme l’un des degrés par lesquels l’homme est élevé jusqu’à Dieu et est changé de gloire en gloire jusqu’à être divinisé. Chez Maxime se trouve l’idée d’une ascension du mystique mais d’un point de vue différent : il s’agit d’une ascension « avec le Verbe » par la contemplation des logoi de Son économie, ascension qui correspond à Sa descente parmi les hommes, l’homme étant dès lors divinisé autant que le Verbe S’est inhominisé.
Dans la contemplation, le mystique perçoit par son nous des « reflets » divins, autrement dit les qualités ou les énergies divines présentes dans la création, dans les logoi des êtres. La perception spirituelle de ces qualités ou de ces énergies réalise dans un intellect purifié une certaine assimilation à Celui à qui elles appartiennent. « Les logoi des êtres », objets de la theôria, sont envisagés, en complément des vertus, comme « les types des biens divins […] par lesquels l’homme devient continuellement dieu, en étant qu’ayant […] dans son âme les logoi de la connaissance, par lesquels Dieu déifie ceux qui en sont dignes, […] les gratifiant de l’existence inessenciée d’une connaissance stable ».
Pareillement nourrissantes sont les paroles (logoi) de l’Ecriture : « La contemplation et la connaissance spirituelle en Christ des Ecritures […] distribuent Dieu largement à ceux qui L’aiment, selon qu’il est écrit : « Il leur donna le pain du ciel, l’homme mangea du pain des anges ». Ces considérations sont bien évidemment à mettre en rapport avec le thème Maximien de l’Incarnation du Verbe dans les logoi des créatures et dans les logoi de l’Ecriture.
Maxime considère que l’on peut faire l’économie de la contemplation, qui n’est qu’une étape préparatoire à la connaissance de Dieu, mais non pas faire l’économie de cette connaissance même, qu’il appelle theologia.
La sagesse
Maxime accorde à la sagesse une place particulière dans la divinisation. La sagesse est pour lui la vertu par excellence dans l’ordre théorétique qui est celui de la gnôsis. Incluant mais aussi dépassant le plan de la contemplation naturelle et s’étendant jusqu’au domaine supérieur de la theologia.
La sagesse, vertu suprême dans l’ordre théorétique ou gnostique, dot avec la bonté (ou amour), vertu suprême dans l’ordre pratique, être acquise librement par l’homme (tout en étant un don de Dieu) afin qu’il acquière la ressemblance à Dieu (comme étant sage de Celui qui est sage, ressemblant ainsi par grâce à Celui qui est sage par nature) et devienne par participation ce que Dieu est par essence. Tel était le projet divin au commencement et telle reste la tâche de l’homme appelé au salut et à la divinisation par le Christ. Il note que la sagesse « peut engendrer dans les hommes le suprême état déiforme ». Il rapporte la sagesse à la connaissance de Dieu par Ses propriétés et lui reconnaît de ce fait un rôle important dans l’accès à la divinisation : l’Esprit Saint « accorde la perfection par la sagesse lumineuse, simple et totale, à ceux qui sont dignes de divinisation, en les amenant de toutes les façons à la Cause des êtres, selon qu’il est possible à l’homme, en leur faisant connaître, à partir des propriétés divines, Sa miséricorde ».
« Bienheureux est celui qui par la sagesse fait en lui l’homme dieu, et accomplissant la naissance d’un tel mystère, subit de devenir dieu par grâce ».
X – Les conditions « théologiques » de la divinisation
La Theologia
Elle est le troisième degré de la vie spirituelle après la praxis et la theôria. Elle constitue « la connaissance suprême », « la gnose véritable », « la gnose mystique », « la gnose divine ». « la gnose ineffable », ou encore « la gnose inoubliable ». Elle correspond à la connaissance de Dieu indépendamment de ses créatures, à la connaissance et à l’illumination de la Sainte Trinité, à la connaissance des mystères divins.
En tant qu’elle permet, à la différence de la contemplation naturelle, de connaître Dieu non pas relativement aux êtres crées, mais directement, la theologia se situe au plan surnature et suppose donc le rejet de toute relation non seulement des sens et de la raison, mais du nous lui-même aux sensibles et aux intelligibles, donc aux corps et à la matière, et aussi à toute forme, quantité, qualité, figure, ainsi qu’au temps, bref à ce qui est de l’ordre des êtres crées ou de la nature ; elle suppose autrement dit l’abandon par le nous de toute représentation, image, pensée ou intellection « de tous les êtres qui sont après Dieu ».
Il est à noter que ce processus le nous lui-même devient sans matière, sans forme et sans figure, devient simple, indivis et uniforme, toutes qualités qui lui permettent de s’accorder avec les qualités divines correspondantes et de parfaire sa ressemblance et son union à Dieu.
La theologia implique le dépouillement non seulement de toute sensation, mais de toute pensée et connaissance, autrement dit « l’arrêt général du mouvement du nous autour des choses créées » ou encore la cessation de toute opération des sens, de la raison, et du nous lui-même.
La theologia est donc une connaissance suréminente, supra-rationnelle et supra-intellectuelle, et pour cela ineffable. En toute rigueur donc, le terme de connaissance ne lui convient pas. On est plutôt ici dans le domaine de l’inconnaissance, et toute expression relative au domaine de la connaissance est inadéquate. Plutôt que d’une connaissance, Maxime parle parfois d’une sensation ou encore d’une vision de Dieu, mais sans insister particulièrement sur cette dernière et nous verrons qu’il accorde une grande importance dans la gnose à la lumière divine, dont le rapport avec le sens de la vue est évident bien qu’il s’agisse d’une lumière surnaturelle, et d’une perception de cette lumière elle-même suprasensible et supra-intellectuelle.
Maxime parle à plusieurs reprises à la suite de Saint Paul et de plusieurs de ses prédécesseurs, d’une vision « comme en un miroir ». L’objet de cette vision est en effet dans un cas « la gloire de Dieu dans les vertus et la connaissance spirituelle », mais ne veut pas dire par là que l’âme connaisse Dieu dans ce reflet de Lui en elle, étant précise au contraire dans ces lignes « elle expérimentera et connaîtra d’autant plus les choses divines qu’elle ne voudra pas à elle-même, ni pouvoir être connue d’elle-même et par elle-même ou par quelqu’un d’autre, mais par Dieu tout entier »
Maxime semble en fait considérer que la connaissance spéculaire est la connaissance de Dieu à travers les créatures, laquelle relève de la theôria, tandis que la theologia semble déjà permettre une vision « face à face ». Il n’hésite pas à parler ailleurs de ceux qui sont dignes de jouir face à face de la beauté divine et à affirmer que celui qui a rendu son cœur pur, après avoir traverser toutes les choses créées, « verra en face Dieu Lui-Même ».
A la fois parce que son objet transcende la nature et parce qu’elle-même se situe au-delà des possibilités des facultés de la nature humaine, et plus généralement de toute nature créé, la superconnaissance de Dieu est surnaturelle. Maxime souligne l’incapacité du nous de s’élever par lui-même jusqu’à Dieu et la nécessité d’être pris en charge par Lui, jusqu’à recevoir finalement de Lui la lumière par laquelle Il se fait connaître.
Cette connaissance accède seulement aux « réalités qui sont autour de Dieu », aux logoi « qui sont autour de Lui », à « l’infinité qui est autour de Dieu », aux « réalités qui sont autour de l’essence ». C’est à cela que se réfère Maxime lorsque, distinguant trois mouvements généraux de l’âme – selon le nous, selon la raison et selon la sensation – Il précise au sujet du premier, qui correspond à la theologia, qu’il « est simple et inexplicable » et que selon celui-ci, « mue dans l’inconnaissance autour de Dieu, selon un mode qui n’est celui d’aucun des êtres, l’âme Le connaît suréminemment ».
Ce qui est « autour de l’essence » correspond aux attributs de Dieu, aux propriétés divines, ou aux logoi divins (mais tous connus cette fois directement et non par le biais des créatures dans lesquelles ils sont susceptibles de se manifester ou par lesquelles ils sont susceptibles d’être participés), ou aux énergies divines, ou aux « réalités invisibles » de Dieu, ou à la lumière divine, ou à la gloire de Dieu (celle qui L’entoure, et non plus celle, perceptible dans la contemplation naturelle, qui se reflète dans la création), ou à la « procession providentielle » selon laquelle Dieu, absolument imparticipable par essence.
Pour Maxime, les énergies d’une part sont des entités distinctes de Dieu (considéré en Son essence) objectivement (et non pas seulement en vertu d’une distinction opérée par l’intellect de l’homme), et d’autre part, comme n’ayant pas eu de commencement dans le temps, autrement dit incréées, ont une existence indépendante des créatures qui participent d’elles, et peuvent être par grâce connues en tant que telles par le mystique.
Le mystique ne connaît pas seulement la gloire, la grâce ou les énergies communes aux trois Personnes de la Trinité et qui rayonnent de leur nature unique, mais qu’il accède à une certaine connaissance des Personnes trinitaires Elles-Mêmes, connaissance directe, parceque, révélée, distincte par conséquent de la connaissance relative et analogique que l’on pouvait en avoir par la contemplation naturelle à travers la création. Ainsi, lors de la Transfiguration, les apôtres présents ont par la lumière qui émane de Lui une connaissance directe du Verbe. Par cette lumière ou cette gloire qui rayonne du Verbe, ils ont aussi une connaissance du Père de qui Il tient cette gloire. Maxime évoque aussi l’Esprit Saint qui donne aux membres de l’Eglise « Ses propres énergies ». Et il constate par ailleurs, suivant de près le témoignage des Ecritures, que le mystique connaît le Verbe dans l’Esprit, et par le Verbe est élevé au Père.
La lumière divine est à la fois ce par quoi est opérée la superconnaissance de Dieu, « le milieu » dans lequel elle s’opère, « le lieu » dans lequel se trouve immergé le nous, l’« objet » de cette connaissance, et ce en quoi se transforme le nous du mystique.
Maxime évoque ainsi le nous qui, étant pur, « s’illumine sous la lumière de Dieu » et écrit plus longuement : « De même que le soleil, se levant et éclairant le monde, se révèle lui-même et révèle les choses qu’il illumine, de même le Soleil de Justice, se levant sur le nous pur, se révèle aussi Lui-Même ainsi que les logoi de tous les êtres qui par Lui ont été et seront ». Il note que « dans l’élan même de la prière », laquelle correspond en ses degrés les plus hauts à la theologia, « le nous est ravi par la lumière infinie de Dieu, et n’a plus aucun sentiment de lui-même ni d’aucun des êtres, si ce n’est de Celui qui, par l’amour opère en lui une telle illumination ». Il écrit encore dans le même sens : « Quand par le désir ardent de l’amour, le nous émigre vers Dieu, alors il ne sent absolument plus aucun des êtres. Tout illuminé par la lumière divine et infinie, il est insensible à l’égard de tous les êtres créés par Lui, de même que l’œil sensible à l’égard des étoiles quand le soleil se lève ».
On peut dire que le dépassement de tous les êtres et de leurs représentations, l’abandon des opérations naturelles de connaissance, et l’entrée dans l’état d’inconnaissance, qui sont une condition de la réception de la connaissance surnaturelle opéré par Dieu, contribuent déjà à la divinisation du fidèle parvenu à de haut état de la vie spirituelle. Cela correspond en effet à une sortie hors du monde et des ses conditions (espace, temps, matière, forme, multiplicité, etc.) en même temps qu’à une certaine sortie du nous hors de lui-même, ce qui permet au nous d’une part d’acquérir, certaines qualités divines singulièrement la simplicité et d’autre part en renonçant à son propre exercice, en déposant son énergie et en dépassant sa propre puissance, de se faire réceptif à l’action de l’énergie divine en lui. Maxime évoque l’âme, qui est arrivée « au-delà de tout ce qui est et existant et intelligible, et […] pénètre en Dieu même, le seul bon et vrai, et qui au-dessus de toute essence et de toute intellection ». Il rattache la divinisation à la gnose (théologique) elle-même. Ainsi il évoque celui qui « est entré dans le pays de la connaissance, où le nous […] devient la demeure de Dieu en Esprit », et celui qui « [a] comblé la mesure de la connaissance accessible aux hommes en ce siècle et [est] devenu dieu ». Il parle de « la gnose déifiante ». Il émet le vœu que le Christ change la connaissance en divinisation. Il note que d’ailleurs le Christ, survenant « change en vin, c’est-à-dire en logos surnaturel de la connaissance, la loi et le logos de la nature. Ceux qui en boivent s’éloignent de tous les êtres de la nature et s’envolent en le lieu caché de la divine intimité, où ils reçoivent la joie et l’allégresse dépassant toutes les connaissances, buvant le bon vin, celui qui est facteur de divinisation ».
Maxime parle de la gnose divine comme correspondant à une union avec Dieu se réalisant au plus haut niveau, union qui s’accomplit par grâce, ou encore par la gloire de Dieu.
Le rôle de la prière
On peut constater une correspondance étroite entre la theologia et la prière, envisagée en ses degrés supérieurs. Dans une telle prière, le nous est libéré des passions et détaché des réalités terrestres, il se situe hors de la chair et du monde, il se recueille hors de toutes les pensées du monde, il est abstrait de toutes les représentations intellectuelles, il est porté au-delà de toute matière et de toute forme, et il est présenté « nu » à Dieu. Plus encore, dans l’état le plus haut de la prière, « le nous est ravi par la lumière infinie de Dieu, et il n’a plus aucun sentiment de lui-même ni d’aucun des êtres, si ce n’est de Celui qui, par l’amour, opère en lui une telle illumination ».C’est dans la prière même que le mystique reçoit la superconnaissance de Dieu. Mais lorsque la prière est devenue pure, il s’accomplit en elle une union étroite du nous purifié avec Dieu qui le déifie. La prière pure « amène [le nous] à Dieu » écrit Maxime. Et encore, plus précisément : « la grâce de la prière unit le nous à Dieu et, par là même, le retire de toute autre pensée. Le nous s’entretenant alors avec Dieu, dans sa nudité, devient déiforme ». « Dans l’élan même de la prière, le nous est ravi par la lumière divine et infinie, il […] ne sent plus […] que Celui-là seul qui, par l’amour, opère en lui une telle illumination ».
Le rôle corrélatif de la pureté, des vertus et de l’amour
Lorsqu’il parle de la gnose et de la divinisation qui la suit, Maxime ne perd pas de vue le rôle que joue aux côtés de celle-là et comme ses conditions indispensables, l’impassibilité et la pureté. A propos de celle-ci, il se réfère bien évidemment à Mt 5,8 : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » et précise « Ils Le verront purifiés davantage ». Et ailleurs : « Celui-là verra à coup sûr le salut de Dieu, qui est devenu pur de cœur, par quoi, à la fin de ses luttes, aux moyens des vertus et des pieuses contemplations, il voit Dieu selon ce qui est écrit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ».
La divinisation correspond à la parfaite ressemblance à Dieu acquise dans les vertus et la connaissance. Parmi les vertus, l’humilité apparaît comme une condition particulièrement indispensable de la gnose.
Maxime accorde surtout un rôle essentiel, aux côtés de la gnose, à l’amour. Il les associe à plusieurs reprises. L’amour dit-il est « le chemin de la vérité […], qui amène ceux qui marchent en lui, devenus purs de toute passion, à Dieu le Père. C’est la porte ouvrant le Saint des saints à celui qui entre et est rendu digne de contempler l’indicible beauté de la sainte et souveraine trinité». Il note encore que l’âme parvenue à Dieu est « embrasée par l’amour ». Et il rétablit une corrélation entre l’amour de Dieu pour l’homme selon lequel Il devient homme, et l’amour de l’homme pour Dieu selon lequel il devient dieu. L’amour apparaît ailleurs comme étant l’instrument même du dépassement du monde et de ses conditions, de la montée vers Dieu et de la rencontre avec Lui. Pour Maxime, l’amour est avant tout une force d’élévation et d’union. La grande importance qu’il accorde à l’amour au sommet de la vie spirituelle ne doit cependant pas conduire à minimiser le rôle de la connaissance.
XI – Le processus et la nature de la divinisation
Bien que les vertus et la connaissance à tous ses degrés contribuent à la divinisation de l’homme, et que l’amour et la connaissance « théologique », sur la base de la pureté de l’âme et de l’intellect, donnent lieu à son accomplissement en l’homme, elle ne saurait être produite ni expliquée par eux, mais apparaît comme le résultat d’une opération divine s’accomplissant dans l’âme qui est sortie d’elle-même et s’en rendue réceptive. La réception par le mystique de la connaissance suprême donnée par Dieu implique l’abandon, la cessation (ou « le repos », ou « le sabbat ») de toute opération (ou énergie) des sens, de la raison, et du nous lui-même.
« Celui qui dans sa sagesse, sait comment aimer Dieu qui est au-delà de la raison et de la connaissance, et absolument libre de toute relation, transcendera tous les sensibles et les intelligibles, tout temps, tout siècle et tout lieu, et dépouillé finalement de toute opération selon les sens, la raison, et le nous, ineffablement et dans l’inconnaissance, trouvera la jouissance divine qui est au-dessus de la raison et du nous, selon un mode que seuls connaissent Celui qui accorde une telle grâce et ceux qui sont dignes de la recevoir de Dieu ».
La divinisation suppose aussi de la part du fidèle la déposition des opérations de sa volonté. Décrivant l’union suprême du mystique à Dieu : « il ne s’arrête plus jusqu’à ce qu’il soit dans l’aimé tout entier et soit embrassé par [lui] tout entier, acceptant tout entier volontairement par choix cet enveloppement salutaire, afin d’être tout entier qualifié par Celui qui tout entier l’enveloppe, de telle sorte que désormais ce n’est plus du tout par lui-même qu’il veut que Celui qui l’enveloppe Se laisse complètement connaître, mais par Celui qui l’enveloppe ».
De même en effet, que dans l’illumination par Dieu, le nous subsiste en tant que puissance, mais n’opère plus par lui-même la connaissance, celle-ci étant effectuée par l’opération divine dont il n’est alors que le réceptacle, de même la volonté n’opère plus par elle-même mais devient le réceptacle de l’énergie divine opérant en elle.
Répondant à ceux qui se demandent quel sera l’état de ceux qui sont dignes de la perfection dans le Royaume de Dieu. Maxime évoque la nourriture que reçoit alors l’âme, par laquelle elle obtient le toujours-être bien et « devient Dieu par participation à la grâce divine » et note qu’ « elle-même a suspendu toutes les opérations selon le nous et les sens, qu’elle a corrélativement fait cesser en elle les énergies naturelles du corps, lequel a été divinisé avec elle en participant à la divinisation de la matière qui lui correspond ».
Il définit le cœur pur (celui qui verra Dieu en face et sera divinisé) comme « celui qui n’a selon aucun mode aucun mouvement nature vers quoi que ce soit ». Il note par ailleurs que l’état de l’homme divinisé est « jouissance en tant qu’il est la fin des opérations selon la nature ».
La déposition des opérations humaines permet à l’opération (ou énergie) divine d’opérer dans l’âme la divinisation. Elle coïncide donc avec la venue et l’action de Dieu dans l’âme : « la circoncision du cœur en esprit est l’enlèvement total des opérations naturelles selon les sens et le nous autour des choses sensibles et intelligibles par la venue de l’Esprit qui immédiatement transfigure totalement le corps et l’âme pour ce qu’il y a de plus divin.
La stabilité, remarque-t-il encore, n’est pas l’opération naturelle de la venue à l’existence de ce qui est mû, mais la fin de sa puissance et de son opération ». Ainsi prenant pour exemple la fin du mouvement et des opérations de la raison et de l’intellect, il écrit : « Lors donc que toutes les représentations intellectuelles des êtres intelligés, sensibles et intelligibles, sont passés par l’intellection, l’âme se repose alors de tous les êtres intelligés de même que de toute intellection et relation vis-à-vis des choses intelligibles et relatives, n’ayant plus rien à intelliger après l’intellection des choses qui sont susceptibles naturellement d’être intelligés, après laquelle au-delà de l’intellect, de la raison et de la connaissance, intelligiblement, dans l’inconnaissance et indiciblement, elle est unie à Dieu dans un élan simple, n’intelligeant plus rien et ne connaissant plus Dieu par la raison. Car Il n’est pas quelque chose des choses intelligées, de sorte que selon quelque relation l’âme puisse en avoir une intellection ; mais elle est unie à Lui en tant qu’Absolu, selon une union simple et au-delà de l’intellection, selon un certain logos indicible et indéchiffrable, que seul connaît Dieu qui accorde cette grâce ineffable à ceux qui sont dignes ou qui plus tard la recevront dans la foi, lorsque tout sera libéré de toute mutation et altération, tout mouvement des êtres tel qu’il soit prenant fin complètement dans l’infinité autour de Dieu, en laquelle tout mouvement trouve sa stabilité ». Maxime cite, pour faire apparaître le fondement évangélique de cette conception métaphysique, cette parole du Christ : « Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos » (Mt 11,28), et ce passage de l’épitre aux hébreux qui fait apparaître une correspondance étroite entre le Sabbat de Dieu et le Sabbat du mystique : « Celui qui est entré dans son repos lui aussi se repose de ses œuvres, comme Dieu des Siennes » (He 4,10).
Maxime exprime aussi ce processus mystique en assimilant la cessation des opérations naturelles à une mort et l’intervention de l’opération divine qui agit à leur place à une résurrection. « Quand l’opération et le mouvement naturels autour de toutes choses ont été suspendus avec la relation [à elles], écrit-il encore, le Verbe, qui seul existe par Lui-Même, apparaît de nouveau, comme ressuscité d’entre les morts ».
L’extase
Selon Maxime, l’extase constitue pour l’homme une sortie de lui-même et il conseille à Timothée : « Exerce-toi sans cesse aux contemplations mystiques, abandonne les sensations, renonce aux opérations intellectuelles, rejette tout ce qui appartient au sensible et à l’intelligible, dépouille-toi totalement du non-être et de l’être, et élève-toi ainsi, autant que tu le peux, jusqu’à t’unir dans l’inconnaissance avec Celui qui est au-delà de toute essence et de tout savoir. Car c’est en sortant de toi-même, de façon irrésistible et parfaite, que tu t’élèveras, dans une pure extase, jusqu’au rayon ténébreux de la divine Suressence, ayant tout abandonné et t’étant dépouillé de tout ». Maxime évoque l’appropriation de l’âme par l’énergie divine, cette prise de possession par Dieu présupposant logiquement la dépossession de soi.
L’extase en tant que sortie signifie corrélativement pour Maxime le mouvement d’élévation du mystique au terme duquel il se trouve étroitement uni à Dieu, enveloppé et pénétré par Lui et divinisé. Selon lui, ce mouvement est un mouvement d’amour. Mais Maxime, en même temps qu’il reconnaît au mystique une certaine initiative dans ce mouvement, affirme qu’il est passif et est assumé, saisi, ravi, par l’énergie divine. Les opérations naturelles humaines étant arrêtées et l’homme ayant atteint la fin de son mouvement naturel, il n’est plus mû en effet par lui-même mais par l’énergie divine. Maxime propose aussi une explicitation de son affirmation concernant la substitution de l’opération de la volonté divine à celle de la volonté du mystique.
La divinisation suppose l’extase comme condition en tant qu’elle suppose le dépassement des limites de la nature et le passage en Dieu. Maxime écrit : « [le Verbe] change en vin, c’est-à-dire en logos surnaturel de la connaissance, la loi et le logos de la nature. Ceux qui en boivent s’éloignent de tous les êtres de la nature et s’envolent en le lien caché de la divine intimité où ils reçoivent la joie et l’allégresse dépassant toute connaissance, buvant le bon vin, celui qui est facteur de divinisation, le logos indicible et ultime que la Providence a disposé pour l’humanité ».
Une scholie sur ce passage précise que « le bon vin, c’est le logos extatique de la nature pour la divinisation », Maxime note encore que la participation aux biens divins est « extatique ». Mais surtout il explique à la fois que la divinisation suppose de la part de l’homme une sortie de soi parce que la divinisation est le fruit de la seule grâce et ne peut aucunement être le fruit d’une opération naturelle, l’homme n’ayant par nature en lui-même aucune puissance capable de la produire ou de l’opérer.
Passivité de l’homme
Ayant déposé, ou mis au repos, ou fait cesser les opérations de ses puissances naturelles, le mystique se place dans un état de passivité selon lequel il se fait entièrement réceptif à l’action en lui de l’énergie divine. C’est selon cette passivité qu’il peut être saisi et ravi par l’énergie divine dans le mouvement de l’extase. C’est selon cette passivité également qu’il peut, au sommet de cette élévation extatique, se laisser tout entier envelopper et pénétrer par l’énergie divine qui opère en lui la divinisation, se laisser transformer par elle et acquérir les marques divines qu’elle lui confère en s’y faisant totalement réceptif. Les saints « sont et seront tels des organes de la nature divine que Dieu tout entier manie, dirait-on, en les enveloppant comme l’âme [fait du corps], appelés qu’ils sont à devenir pour leur Maître des membres bien adaptés et efficaces de Son corps, [membres] qu’Il remplit de Sa propre gloire et béatitude, en leur faisant le don de la vie et la grâce de la vie éternelle et ineffable ».
Divinisation par l’opération divine
La passivité du mystique est corrélative de l’activité de Dieu en lui. De nombreux passages de l’œuvre de Maxime évoquent le surgissement, la pénétration et l’action de la grâce (ou de la lumière ou de la gloire) divine, l’avènement de Dieu, la naissance mystique et l’inhabitation du Verbe en celui qui est ainsi préparé et qui en est digne, ou encore la venue de l’Esprit qui le remplit toute entier, cela afin d’opérer sa divinisation.
Maxime évoque l’avènement du Verbe dans le mystique, interprétant symboliquement le dernier repas du Christ, il montre le Verbe qui « entre » dans l’âme prête à Le recevoir et qui « Se donne Lui-Même » ; « la pâque, écrit-il, est vraiment le passage du Verbe au nous humain, passage selon lequel le Verbe de Dieu mystiquement survenu gratifie de la plénitude tous ceux qui sont dignes, par la participation de Ses propres biens ». Maxime évoque aussi l’avènement de L’esprit en celui en qui les opérations naturelles ont été déposées, et la transformation spirituelle qu’Il opère alors pour diviniser celui en qui Il est venu.
Maxime évoque l’activité de l’énergie divine qui s’est substituée à l’énergie naturelle qui a été arrêtée : « La célébration du Sabbat de Dieu est le total aboutissement des créatures en Lui, selon lequel l’opération la plus divine ineffablement opérée se repose de l’opération naturelle de celles-ci. Car Dieu se repose de l’opération naturelle qui se trouve en chaque être, selon laquelle chacun des êtres est de manière innée naturellement mû, quand chacun après avoir reçu analogiquement l’opération divine, limite autour de Dieu sa propre énergie selon la nature ».
La même idée est exprimée d’une manière plus frappante encore, et sans doute extrême, où Dieu est présenté comme venant dans l’âme, comme opération en elle alors qu’elle a elle-même cessé d’opérer, et lui imprimant alors Ses directives qu’elle s’est ainsi disposé à recevoir, et Ses propres marques, autrement dit les qualités qui font de l’homme un dieu par grâce :
– « Venu dans un […] cœur [pur], Dieu le rend digne de la gravure par l’Esprit des mêmes lettres que sur les tables de Moise […] » ;
– « Un cœur qui peut être dit pur est celui qui n’a selon aucun mode aucun mouvement naturel vers quoi que ce soit. Entré en lui, comme sur une feuille que l’extrême simplicité a rendu bien lisse, Dieu écrit Ses propres lois ».
– « Un cœur est pur quand il a remis à Dieu sa mémoire totalement dépouillée de de toute forme et de toute figure, et prête à être marquée des seuls signes par lesquels Dieu Se rend naturellement manifeste ».
Cette idée se trouve également dans l’affirmation que, étant entièrement unis à Dieu, « [les saints] sont, autant qu’il est possible, d’autant plus qualifiés par Lui qu’ils sont caractérisés par Lui seul, comme le plus clair des miroirs, ayant la forme sans diminution du logos tout entier soumis à Dieu manifeste au moyen de ses divines caractéristiques, aucune des anciennes marques, par lesquelles l’élément humain est naturellement indiqué, n’étant laissée, toutes cédant aux meilleures, comme l’air obscur tout entier transfusé de lumière ».
L’action de l’énergie du Verbe qui est venu dans l’âme, l’habite et la pénètre.
« Si ‘ celui qui se renonce à lui-même et perd sa vie à cause de moi la retrouvera’ (cf. Lc 9,24) – c’est-à-dire celui qui rejette la présente vie avec ses volontés en vue de celle qui est meilleure -, celui-là possède l’unique Verbe de Dieu, vivant et opérant, et pénétrant selon la vertu et la connaissance jusqu’à la séparation de l’âme et de l’esprit et il n’a rien du tout en lui qui le sépare de Sa présence. Il devient alors aussi sans commencement et une fin, puisqu’il ne porte plus rien en lui de la vie temporelle et mobile qui possède un commencement et une fin, et qui est troublée par de multiples passions, mais la seule vie divine, celle du Verbe venu habiter en lui, [vie qui est] éternelle et qui n’est limitée par aucune mort ».
On peut comprendre dans le sens d’une vie par l’énergie divine, et non plus par ses énergies propres, l’affirmation que l’âme, lorsqu’elle est arrivée à la mesure de la plénitude du Christ, « cesse toute progression dans le développement et la croissance par les moyens [naturels] et se nourrit directement de ce qui dépasse l’intellection ». Lorsqu’elle a reçu cette nourriture incorruptible, précise Maxime, l’âme « reçoit le toujours-être-bien et devient dieu par participation à la grâce divine, s’étant elle-même reposée de toutes les énergies du nous et du sens, ayant arrêté en elle les énergies naturelles du corps ». On peut encore considérer que la résurrection qui, pour le mystique, suit la mort (à savoir la cessation de ses opérations naturelles) – mort et résurrection que Maxime évoque à plusieurs reprises en les mettant en rapport avec la mort et la Résurrection du Christ – correspond au surgissement, à la place de ces opérations naturelles humaines, de l’énergie divine.
Il est donc clair que ce n’est plus par ses énergies naturelles propres que le mystique opère alors, mais par l’énergie divine venue en lui dans la mesure de sa dignité et de sa pureté. Ses puissances ou facultés ne disparaissent pas alors mais deviennent de purs réceptacles de cette énergie divine et opèrent surnaturellement par elle et non plus par celle qui leur est propre et naturelle. On peut dire que le mystique connaît par Dieu même, de la connaissance dont Dieu connaît. Ainsi Maxime, évoquant l’avènement final du Verbe, note que « la connaissance pour nous prenant fin de ce qui est après Dieu », nous recevons « cette infinie, divine, incompréhensible qui nous est réservée analogiquement pour notre joie comme une demeure et un bien à partager ».
«[le mystique] ne s’arrête plus jusqu’à ce qu’il soit tout entier dans l’aimé tout entier, et soit embrassé par Lui, acceptant tout entier volontairement par choix cet enveloppement salutaire, afin d’être tout entier qualifié par Celui qui tout entier l’enveloppe de telles sorte désormais que ce n’est plus du tout par sa propre volonté qu’il veut que celui qui l’enveloppe se laisse complètement connaître, mais par la volonté même de Celui qui l’enveloppe, comme l’air est tout entier illuminé par la lumière, le fer entier rougi par le feu ».
Ce dernier texte est particulièrement riche et illustre de plusieurs façons la conception de Maxime : outre qu’il indique que le mystique ne connaît plus et ne veut plus par lui-même mais par Dieu seul, il parle d’un enveloppement total du mystique par Dieu, évoque, par les exemples de l’air et de la lumière et du fer et du feu, une pénétration totale par l’énergie divine, et plus encore affirme que le mystique est « tout entier qualifié par Celui qui tout entier l’enveloppe », ce qui signifie le libre jeu de l’opération divine dans le mystique qui a inactivé ses propres opérations, s’est fait passif et consent à être modelé, qualifié et « agi » par Dieu seul. Le mystique est alors par rapport à Dieu, comme le corps par rapport à l’âme.
Analyse et justification de la conception de Maxime
1- La divinisation est au-dessus de la nature
Maxime affirme à maintes reprises que ce qui arrive à l’homme divinisé est extra-ordinaire, que la divinisation est une réalité sur-naturelle, qu’elle n’est pas comprise dans les bornes de la nature de l’homme, qu’elle marque un changement d’ordre selon lequel l’homme sort du domaine des réalités naturelles, transcende tout être et toute essence, et selon lequel sa nature est élevée au-delà de ses propres limites.
2- La capacité d’opérer la divinisation n’est pas dans la nature humaine ; il est donc impossible à l’homme de l’effectuer par sa propre énergie.
3- La divinisation ne peut donc procéder que d’une opération surnaturelle, celle de Dieu. Elle ne peut être, autrement dit, qu’un don de Dieu, un effet de Sa grâce.
4- Maxime souligne à maintes reprises, que la divinisation de l’homme ne porte aucune atteinte à sa nature, que l’homme divinisé reste immuablement, véritablement et pleinement un homme, que le logos de sa nature n’est pas modifié ni altéré du fait de la divinisation. Ainsi fait-il remarquer que l’homme est rendu par position ce que Dieu est par nature, précisant que la position « garde ce que l’homme est précisément ». Il précise que l’homme est tout entier divinisé « tout en restant homme tout entier, âme et corps, à cause de la nature ».
5- L’homme divinisé restant pleinement homme, il garde par conséquent intactes en lui toutes ses puissances ou facultés humaines. Le fait que l’homme divinisé ait « le nous de Dieu » n’implique pas la disparition de son propre nous. Celui-ci doit au contraire subsister pour être le réceptacle de la lumière divine, le « lieu » où opère l’énergie divine qui lui donne la connaissance qui est au-delà de toute connaissance et qui le divinise.
6- La volonté humaine aussi subsiste dans la divinisation. L’énergie humaine aussi n’est pas supprimée mais conservée. On ne peut donc pas dire que l’homme soit dépourvu de son énergie propre. Autrement dit l’opération cesse d’être active pour ce qui concerne la divinisation dont l’accomplissement dépasse les capacités de la puissance à laquelle cette opération (ou énergie) est relative. De ce point de vue ou relativement à cela, elle est inactivée.
7- La liberté de l’homme est sauvegardée. Il est vrai que Maxime considère que tous les êtres créés par nature, subissent d’être mus vers leur fin qui est Dieu jusqu’à ce qu’ils aient atteint cette fin. Il explique aussitôt après que les êtres doués de raison ont cette particularité par rapport aux autres êtres de la nature, de pouvoir aussi se mouvoir par eux-mêmes, en raison de leur libre-arbitre, relativement à l’être-bien.
8- Mais le mystique ne veut plus par sa propre volonté. C’est volontairement et librement qu’il renonce à exercer sa volonté propre pour que la seule volonté de Dieu opère en lui.
9- Les lois et les limites de la nature sont abolies pour l’homme divinisé. Il est élevé au-dessus de la nature et de sa propre nature. Selon Maxime l’homme divinisé est conduit au-delà des limites de la nature. Cela ne signifie pas seulement qu’il renonce aux opérations de ses facultés naturelles, met fin à toute activité relative au monde, abandonne toute relation avec les êtres et ce qui après Dieu pour être uni à Dieu seul, qu’il transcende donc, du point de vue de la connaissance notamment, « tout ce qui est après Dieu » ; cela ne signifie pas seulement non plus que dans l’extase il sort et est élevé au-delà de lui-même pour être uni à Dieu, enveloppé et pénétré par Lui selon l’énergie divine qui, avec son libre consentement, est venue en lui et opère en lui. L’« ascension » signifie « l’abandon de toutes les réalités sensibles qui dès lors cessent d’opérer ou d’être opérées en lui par la sensation. Ce dépassement des lois de sa nature comme de celles de la nature de tous les autres êtres se manifeste notamment dans le fait que le mystique devient d’une certaine façon sans matière et sans forme. Cela ne signifie une dématérialisation du corps ni une perte du principe d’organisation de l’âme et du corps, mais l’accès pour le corps et l’âme à un autre état, surnaturel, où ils ne dépendent plus des lois et des nécessités relatives à la matière et à la forme que subissent les êtres de la nature. On trouve à plusieurs reprises dans l’œuvre de Maxime l’idée que les marques de la nature humaine dans la divinisation n’apparaissent plus, et même sont éliminées, étant « vaincues » par la grâce ou par la gloire qui pénètre et enveloppe l’homme divinisé. « L’adoption qui sera donnée subsistante et réelle selon le don de la grâce du Saint Esprit, selon laquelle, toute particularité humaine étant vaincue et couverte par la venue en eux de la grâce, seront appelés et seront véritablement fis de Dieu tous les saints qui, par leurs vertus, se seront ornés dès à présent, splendidement et glorieusement, de la beauté divine de la bonté ».
10- L’homme divinisé subit une transformation qui affecte sa nature. Cependant l’homme qui devient dieu n’est pas divinisé par nature, ne devient pas Dieu par essence et ne cesse pas d’être un homme. Les comparaisons utilisées par Maxime, à propos de la divinisation, de l’air illuminé par la lumière, du fer embrasé par le feu, de l’épée plongée dans le feu dont le fil devient brûlant, évoquent une union sans confusion et une transformation qui laisse à ce qui est transformé son identité essentielle.
11- Il y a un exhaussement et accomplissement, non suppression de la nature humaine. La communion avec Dieu ne diminue ni ne détruit l’humanité mais la rend au contraire pleinement humaine. En effet, « l’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il participe à la vie divine et qu’il réalise en lui-même l’image de Dieu ».
12- L’homme devient dieu selon la grâce ; elle peut signifier que l’homme est divinisé non par une opération issue de sa propre nature (qui n’en a pas la puissance), mais par une opération divine ; elle peut également signifier , et c’est ce sens qui nous intéresse à présent, que l’homme ne devient pas dieu par nature, n’acquiert pas l’essence de Dieu, mais devient dieu selon une modalité particulière qui est celle de la grâce ou de l’énergie divine selon laquelle il est uni étroitement à Dieu et qui lui imprime ses propres marques. La participation à Dieu selon les énergies permet donc à l’homme de devenir véritablement et pleinement dieu sans cependant devenir Dieu par essence ou par nature. Une telle conception permet d’éviter le panthéisme, tout en affirmant une union et une communion véritable avec Dieu, et même une transformation en ce qu’Il est sans que cette transformation de l’homme en dieu amène à une identité essentielle avec Dieu et sans que l’un et l’autre perdent leur identité essentielle ou naturelle. Maxime affirme que la divinisation est sans genèse, sans commencement, incréée. « Il a appelé ‘ divinisation incréé ’, l’illumination, subsistante selon l’essence, de la Divinité, celle qui n’a pas de genèse, mais a une manifestation, impossible à se représenter, en ceux qui sont dignes ». La vie divine « reste toujours, même par la participation de ceux qui jouissent d’elle, incompréhensible, parce que, selon la nature, elle possède en tant qu’incréée, l’infinité ».
13- L’homme devient dieu selon la grâce et par participation. Maxime affirme que le Christ « nous fait communier à la nature divine par la participation à l’Esprit selon la grâce ».
14- L’homme devient dieu selon la grâce et par position. Un état qui n’est pas naturel, qui n’appartient pas à la constitution d’une chose, mais a été acquis en vertu d’une attribution par Dieu, qui est une manifestation de Sa grâce. « Par position » se trouve ainsi souvent opposé à « par nature ».
15- L’homme devient dieu selon la grâce. Mais au degré supérieur de la divinisation que l’homme est incapable d’accomplir lui-même, l’état ou la manière d’être ou le mode d’exister que constitue, et qui est alors un état ou un mode d’exister divin, ne saurait être défini par la personne elle-même, mais est déterminé par l’opération divine seule, la personne cependant voulant et acceptant librement que Dieu qualifie ainsi sa nature et la gratifie d’un tel état, et s’étant préalablement disposé à le recevoir. Il s’agit d’un état surnaturel produit ou établit par Dieu, et donc acquis par l’homme à titre de don gracieux.
16- L’homme devient dieu selon la grâce et par qualité. Indiquant par là, que l’homme acquiert la qualité divine sans acquérir l’essence divine, autrement dit les qualités de la nature de l’homme sont affectées sans que les propriétés essentielles de celle-ci le soient.
17- L’homme devient dieu non selon le logos de sa nature, mais selon le mode tropos d’existence de celle-ci. A fortiori, ne saurait-on réduire, dans la conception de Maxime comme le voudraient les mêmes commentateurs, ce tropos « au monde d’existence filial qui est celui du Verbe dans sa relation au Père et qui a été manifesté par le Christ en toute sa conduite », autrement dit « au mode hypostatique, c’est-à-dire filial, selon lequel le Christ soumit entièrement à la volonté du Père son vouloir humain » et auquel l’homme devrait se conformer par imitation pour être déifié.
Caractère entitatif de la divinisation de l’homme
Il est assez clair que la divinisation de l’homme possède pour Maxime comme d’ailleurs pour les pères grecs en général, un caractère entitatif et non pas un caractère purement moral ou intentionnel. Evoquant la communion au Christ, il écrit que « la chair du Verbe est la remontée et le retour parfaits de la nature à elle-même par vertu et connaissance ; le sang, la divinisation à venir là maintenant pour le toujours-être-bien, par grâce ; les os enfin, la puissance qui de façon inconnaissable par la divinisation maintient la nature pour le toujours-être-bien ».
La divinisation de l’homme implique une communion personnelle avec Dieu. Le fidèle, dans les vertus, la connaissance et l’amour, entre en communion personnelle avec les Personnes divines qui viennent en lui, le pénètrent, et transforment sa nature selon leurs énergies communes. Ce qui est divinisé c’est la nature hypostasiée par la personne du saint, ou plus exactement cette personne en sa nature. Un tel équilibre entre la dimension naturelle et la dimension personnelle, ou plus précisément une telle intégration des deux dimensions est constante chez Maxime. On peut cependant mettre en parallèle de nombreux passages où il évoque la divinisation de la nature (ou la nature divinisée), et de nombreux autres passages où il parle de la divinisation de ceux qui en sont dignes, où souvent les deux formes d’expression, ce qui indique que pour lui, bien évidemment, les deux dimensions sont indissociables, non séparées bien que distinctes.
Il ne fait aucun doute que pour Maxime l’homme divinisé garde non seulement son identité naturelle ou essentielle, mais encore son identité personnelle.
La divinisation de l’homme va de pair avec son adoption filiale.
Maxime affirme à plusieurs reprises que celui qui en est digne devient non seulement dieu par grâce, mais encore fils de Dieu par adoption filiale. On peut constater qu’il a de l’adoption filiale et de la filialité une vision très large.
La notion d’adoption filiale signifie principalement selon lui que l’homme accède à une nouvelle condition, spirituelle et surnaturelle : par elle, il devient enfant de Dieu au lieu d’enfant de la chair. Pour cette raison, celui qui est adopté peut apparaître comme devenant, certes et d’une manière privilégiée, fils du Père mais aussi fils du Fils et fils du Saint Esprit qui sont également Dieu. La notion d’adoption filiale signifie aussi que celui qui en est digne fait ainsi, par grâce, partie de la famille de Dieu, est établi dans Sa proximité et Son intimité, reçoit en partage les biens paternels et en devient l’héritier. Selon l’amour de Dieu, note-t-il « est accordée, d’une façon qui convient à Dieu, l’adoption filiale et d’être ainsi continuellement dans une relation d’intimité avec Dieu et de se tenir auprès de Lui ». Et ailleurs il cite ce verset de Luc (15,31) : « Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Maxime affirme que celui qui en est digne devient enfant ou fils de Dieu par adoption pour signifier qu’il ne l’est pas par génération naturelle selon l’hypostase du Père, comme c’est le cas pour le Fils, sans qui il serait comme celui-ci Dieu par nature.
Bien que l’adoption signifie une filiation établie par reconnaissance, par décret, par institution, Maxime assimile volontiers l’adoption filiale à l’engendrement, mais accompli de manière spirituelle et selon la grâce, à une condition surnaturelle. Il note ainsi que le Verbe « donne l’adoption filiale en faisant don par l’Esprit, dans la grâce, de l’engendrement surnaturel d’en haut ». Cet engendrement spirituel qui fait que le fidèle devient fils de Dieu par adoption était, rappelons-le, inscrit dans la vocation du premier homme. Adam ayant négligé volontairement « l’engendrement spirituel [à partir] de l’esprit », c’est le Christ qui a rétabli mystiquement l’engendrement en Esprit » et cela en se faisant baptiser. Maxime insiste sur le fait que le baptême du Christ constitue un engendrement à l’adoption filiale et note que par là le Christ a ouvert à tous ceux qui le veulent, la possibilité de devenir enfants de Dieu.
Cette possibilité est donnée à chaque chrétien lors de son baptême. L’adoption filiale reçue au baptême n’est en effet, selon Maxime, que potentielle. Pour qu’elle devienne adoption filiale en acte, l’homme doit garder le don reçu au baptême et le faire fructifier par la pratique des commandements, par les vertus, et la connaissance. En réalité, l’affirmation que l’homme devient à la fois dieu et fils adoptif par grâce correspond au fait que Dieu est à la fois Dieu et Père. L’adoption filiale parait précéder la divinisation et la conditionner. Maxime note que le Saint Esprit est pour les chrétiens « l’artisan de l’adoption filiale donnée selon la grâce par la foi », que le Christ est « notre grâce » « en tant que distributeur de l’adoption filiale par Dieu le Père dans l’Esprit par la foi, et de la grâce de la divinisation selon qu’en est digne chacun ». Il cite ce verset de saint Jean : « ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit (Jn 3,6).
Caractéristiques de l’état de l’homme divinisé
L’homme divinisé est avec Dieu, se tient auprès de Lui, est établi dans Sa proximité, et est continuellement dans une relation d’intimité avec Lui. On peut remarquer que pour Maxime, l’homme divinisé n’est pas seulement très proche de Dieu, ni même très étroitement uni à Lui. Dans l’ascension mystique, le fidèle « ne s’arrête plus jusqu’à ce qu’il soit tout entier dans l’Aimé tout entier ». Autrement dit, par la divinisation, il entre en Dieu, il « se meut en Dieu » et « il vit en Dieu ». Maxime utilise pour exprimer cela des expressions topologiques. Celui qui est divinisé, écrit-il parvient « dans le lieu caché de la divine intimité ».
« Si le Verbe qui est Dieu et Fils de Dieu le Père, est devenu fils de l’homme et homme pour faire dieux et fils de Dieu les hommes, croyons que nous serons à l’endroit où est maintenant le Christ Lui-Même en tant que tête de tout le corps, devenu pour nous précurseur auprès du Père ».
Maxime explique que l’âme de celui qui en est digne est admise à s’étendre sur la couche de Dieu, et que « sur cette bienheureuse et très sainte couche s’accomplit ce mystère redoutable d’une union qui dépasse l’intellect et la raison, et selon lequel deviennent une seule chair et un seul esprit Dieu avec l’âme et l’âme avec Dieu » ; et de citer cette affirmation de saint Paul : « les deux ne feront qu’une seule chair ; ce mystère est grand ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise » (Ep 5, 32).
Non seulement l’homme divinisé « a pénétré en Dieu même », mais il « s’est totalement inséré en Dieu seul ». Il devient très concrètement et en plénitude, membre du corps du Christ ».
Cette union de l’homme à Dieu, cette entrée, cette pénétration de l’homme en Dieu, cette habitation et cette vie en Lui, est corrélative d’une union de Dieu à l’homme, d’un enveloppement de l’homme par Dieu, d’une venue de Dieu en l’homme, d’une pénétration de l’homme par Dieu et d’une habitation de Dieu en lui.
Si comme nous l’avons vu, l’homme est uni à Dieu, c’est en réalité parce que Dieu, en Sa bonté, S’unit à l’homme : s’il revient à l’homme de s’unir à Dieu autant qui lui est possible par la vertu et la connaissance, il ne peut par une telle union que se préparer à l’union très supérieure en laquelle s’accomplit la divinisation et s’en rendre digne, car une telle union excède ses propres capacités naturelles et ne peut être opérée que par Dieu.
Maxime souligne en le répétant que Dieu enveloppe alors l’homme tout entier : dans l’ascension mystique, le fidèle ne s’arrête pas jusqu’à ce qu’il « soit embrassé par [Dieu] tout entier, acceptant tout entier volontairement par choix cet enveloppement afin d’être tout entier qualifié par Celui qui, tout entier, l’enveloppe, de telle sorte que ce n’est plus du tout par sa propre volonté qu’il veut que Celui qui l’enveloppe Se laisse complètement connaître, mais par la volonté de Celui qui l’enveloppe ».
Dieu, en même temps, entre en l’homme. « Tout entier, comme il convient à Dieu et sans passion. Il s’introduit en [l’âme] tout entière et la déifie tout entière. L’homme alors est « tout entier pénétré par Dieu tout entier » et Dieu le remplit de Sa présence totalement et au plus intime de lui-même. Le saint, écrit Maxime, possède en lui « l’unique Verbe de Dieu vivant et opérant, et pénétrant jusqu’à la séparation de l’âme et de l’esprit […], et il n’a [plus] rien du tout [en lui] qui le sépare de Sa présence ». L’état de l’homme qui est ainsi enveloppé et pénétré tout entier par Dieu est comparé par Maxime à celui de « l’air tout entier illuminé par la lumière » ou à celui du « fer tout entier rougi par le feu ».
Par la divinisation, Dieu devient « tout en tous pour les sauvés ». De son côté, le fidèle qui a renoncé à lui-même, est sorti de lui-même et s’est entièrement abandonné à Dieu, devient « capable de contenir Dieu », « reçoit Dieu tout entier en échange de lui-même et acquiert Dieu Lui-Même et Lui seul pour prix de son ascension vers Lui» : car « l’héritage de ceux qui sont dignes, c’est Dieu Lui-Même ». Cet héritage est une grâce acquise par le Verbe devenu homme et nous ayant fait, en Son humanité, Ses cohéritiers (cf. Rm 8,17) et les héritiers de Lui-Même en tant que Dieu.
L’homme divinisé se caractérise par une « perfection déiforme ». Par la divinisation, il devient « comme Dieu ». Il est clair cependant que, pour Maxime, la ressemblance à Dieu qui caractérise l’homme divinisé dépasse celle qu’il a acquise par les vertus. Elle est l’accomplissement de celle-ci en plénitude dû à la grâce de Dieu qui l’envahit. Celui-ci rayonne les énergies divines, dont en sa passivité volontaire, il est devenu le réceptacle et le miroir. L’âme divinisée en laquelle Dieu s’est introduit, devient, écrit Maxime « l’image et la manifestation de la lumière invisible, miroir pur, parfaitement limpide, intègre, immaculé, sans tâche, recevant en soi, s’il est permis de le dire, toute la beauté de la déiformité qui porte l’empreinte du Bien en laissant rayonner sans mélange, autant qu’il est possible, la bonté du silence des lieux impénétrables ».
L’homme divinisé participe pleinement selon la grâce, aux réalités divines qui sont au-dessus de la nature, aux biens éternels de Dieu, à Dieu tout entier. Il devient en effet l’héritier de tous Ses biens, le Verbe gratifie celui qui est digne de la plénitude ». L’homme divinisé acquiert par grâce une égalité d’honneur avec Dieu. Il est admis à partager Sa gloire. Maxime évoque souvent la glorification de l’homme divinisé, rempli de la propre gloire de Dieu, changé en gloire divine par la grâce, glorifié dans et avec le Christ.
L’homme divinisé devient par grâce impassible, incorruptible, immortel, et éternel. Ces propriétés méritent d’être citées en premier lieu, d’une part parce qu’elles sont considérées par tous les prédécesseurs de Maxime comme étant les premiers effets de la divinisation, d’autre part parce que ces qualités étaient déjà par grâce celles d’Adam au sortir des mains de Dieu, puisque, lorsque celui-ci eut péché, c’est d’elles premièrement que sa nature et celle de ses descendants furent privées, et puisque c’est elles d’abord que le Christ lui redonna en rétablissant, par Son économie salvatrice, la nature humaine en sa condition originelle.
A l’éternité correspond évidemment le toujours-être reçu par grâce par l’homme divinisé, toujours-être qui se combine pour lui avec l’être-bien en toujours-être-bien par grâce. C’est ainsi que Maxime note que le sang du Verbe est « la divinisation à venir qui maintient [la nature] pour le toujours-être-bien par grâce, et les os [du Verbe] la puissance qui, de façon inconnaissable, par la divinisation, maintient la nature pour le toujours-être-bien ».
L’homme divinisé non seulement transcende la matière et la forme par la grâce de Dieu qui est par nature sans matière et sans forme, mais il n’est plus soumis aux limites du temps. Il devient non seulement sans fin, mais encore sans commencement, donc inengendré et en quelque sorte incréé par grâce (ou par la vertu de l’énergie incréé qui est en lui et le divinise) comme le manifeste de façon archétypale Melchisédec. Son nous devient un et uniforme. Il acquiert la parfaite simplicité, cette dernière qualité apparaissant comme constituant aux yeux de Maxime l’un des attributs divins les plus importants, en connexion avec l’unité de la Sainte Trinité.
L’homme divinisé vit de la vie de Dieu (qui est la Vie même) de « la vie divine qui est au-dessus de tout siècle temps et lieu » et n’est pas circonscrite, de la vie véritable que donne le Verbe qui vit et opère en lui.
Cette vie est une vie bienheureuse. Maxime évoque souvent la volupté, la joie, et la béatitude dont Dieu remplit ceux qu’Il divinise, et la jouissance de ceux-ci.
L’homme est divinisé tout entier, âme et corps
C’est tout entier que l’homme est divinisé. Le nous communique immédiatement cette grâce de la divinisation qu’il reçoit de Dieu à l’ensemble de l’âme puis du corps, que d’une certaine façon il enveloppe et pénètre.
Il souligne que le corps lui-même « est divinisé avec l’âme d’une manière qui lui correspond ». Il note que le Verbe « est devenu tout pour nous » et qu’Il « a divinisé [notre nature] avec toutes ses propriétés […] naturelles, comme un fer porté au rouge, la rendant tout entière théurgique, en tant que la pénétrant complètement d’une manière suprême, à cause de l’union ». Et il remarque ailleurs : « ‘ Ce qui a été uni à Dieu, cela aussi est sauvé ‘ , écrit [Grégoire] à Clédonius. Et le corps est aussi uni au Dieu Verbe avec l’âme. Donc le corps aussi sera sauvé avec l’âme. Et de plus si c’est pour cela, selon ce didascale à la divine sagesse, que S’incarne le Verbe de Dieu, pour qu’Il sauve aussi l’image et rende la chair immortelle, comment ce qui est sauvé disparaîtrait-il et mourrait ce qui est devenu immortel, ou pour parler de la manière la plus appropriée, ce qui est tout entier divinisé par l’entremise de l’âme intellective située entre la divinité et le corps, recevant l’hypostase, tout entier présent essentiellement d’une manière indicible, du Dieu Verbe incarné […] ?.
XII – Les prémices de la divinisation et son accomplissement à venir
Caractère analogique de la divinisation
En affirmant que l’homme devient dieu, Maxime ajoute souvent cette réserve : autant que cela est accessible, ou autant qu’il est possible à l’homme. D’autre part, il affirme que les hommes divinisés le sont ou le seront « analogiquement » ou « selon l’analogie de chacun », ce qui signifie dans une mesure propre à chacun.
Les hommes divinisés le sont donc différemment ou à des degrés divers. Rappelons que la divinisation est un don de Dieu et ne peut être réalisée que par Lui. Le degré de dignité de chacun ne définit donc pas sa propre puissance de divinisation, mais son degré de libre ouverture à la grâce divinisante qui lui est donnée et la réceptivité de celle-ci, ouverture et réceptivité qui sont relatives au degré de renoncement à soi-même et corrélativement d’attachement à Dieu manifesté en particulier dans les vertus, singulièrement dans l’amour.
Maxime note de manière générale que « la grâce à venir est donnée à tous, selon l’analogie de la justice qui est en eux en qualité et en quantité ». Dieu, tout en Se distribuant différemment, reste un et indivisé selon Sa nature.
Il ressort clairement de plusieurs des textes de Maxime que lorsqu’on dit que Dieu donne Sa grâce dans une mesure différente, cela est vrai de point de vue de ceux qui la reçoivent, mais non du point de vue de Dieu qui donne Sa grâce à tous totalement et de manière égale, tous n’étant cependant pas disposés à la recevoir totalement ni également.
Le fait que la divinisation s’accomplisse à la fin des temps, et même en toute rigueur au-delà du temps et des siècles (ou éons) mais que ceux qui en sont dignes puissent en même temps déjà la recevoir en cette vie, s’explique aussi par le fait que pour Maxime le passé, le présent et l’avenir sont englobés par l’éternité et que l’intemporel (ou le supratemporel) est en quelque sorte présent dans le temps, ou encore que chaque moment de celui-ci peut participer de celui-là.
Maxime évoque à la fin des temps : « Dieu pénétrant en tout en général, et en chacun en particulier, emplissant tout à la mesure de [Sa] grâce, et empli en tout en tous ce qui comme des membres, se fondent en un tout avec Lui, selon la mesure de la foi qui est en chacun » : Dieu emplit tout les hommes de Sa grâce, mais n’en sont personnellement emplis que ceux d’entre eux qui ont foi en Lui et de leur côté s’unissent à Lui, et cela dans des proportions variables. Ce principe trouve une application très intéressante dans la manière dont Maxime conçoit la béatitude éternelle des justes et la souffrance infernale des indignes : Si Dieu à la fin des temps S’unira à tous également, cependant pour les personnes qui seront dignes de cette union et qui de leur côté seront disposées à s’unir à Dieu et à recevoir Sa grâce, il résultera de cette union la béatitude ; au contraire, cette union impliquera une certaine souffrance pour les personnes qui en seront indignes et qui en refuseront la grâce et la subiront contre leur gré.
La divinisation selon l’analogie de chacun correspond aux différentes demeures de la maison du Père dont parle l’évangile de Jean (14,2) et aussi aux différents membres du corps du Christ : « Ainsi s’accomplira […] le monde d’en haut, les membres du corps étant unis à la tête selon leur dignité, chaque membre recevant, en raison de sa proximité selon la vertu, la place qui lui est appropriée par l’architectonie de l’Esprit, harmonieusement, complétant le corps de Celui qui est consommé en tous, qui consomme tout, et qui est consommé de tous ».
Tous les hommes seront finalement divinisés ?
Maxime n’admet pas a priori que tous les hommes seront finalement sauvés. Faisant valoir que les êtres libres décident eux-mêmes de leur destin spirituel ; selon la qualité de leur mouvement et de leur orientation volontaires relativement au logos de leur être ils recevront soit l’être-bien, en raison de leur vie vertueuse et la jouissance de la participation à Dieu qui en découle pour l’éternité, soit l’être-mal en raison de leur vie mauvaise, et la peine de ne pouvoir participer aux biens divins.
Maxime soulignant que l’union à Dieu et la divinisation sont des réalités non pas passées mais futures, l’homme n’étant, par son logs qui est en Dieu, dieu que dans l’intention-volonté divine, en quelque sorte potentiellement, l’actualisation de cette potentialité requérant de sa part un mode de vie, librement choisi, conforme à ce logos de son être, ou encore un mouvement conforme au logos de l’être-bien.
Tous les hommes connaîtront les biens divins, mais seuls qui en sont dignes y participeront ; les pécheurs qui ne seront pas repentis souffriront – c’est cela l’enfer – de les connaître sans pouvoir les partager, de voir Dieu mais de rester par leur propre faute éloignés de Lui. Un certain nombre de textes cependant indiquent par ailleurs la croyance de Maxime non seulement en une rétribution différente des dignes et des indignes, mais en une sentence divine dont les effets doivent durer « pour des siècles sans fin » ce qui implique une damnation éternelle de ceux qui auront fait le mal.
Maxime dit : « Dieu veut toujours devenir homme dans les dignes ». Pour Maxime, la divinisation implique la collaboration personnelle du fidèle avec la grâce et suppose du début jusqu’à la fin le libre choix de la personne. Dieu, souverainement respectueux de la liberté des hommes, ne saurait pas plus leur imposer leur divinisation que leur salut, lesquels peuvent être refusés par certains d’entre eux. Maxime note-t-il que « le salut de tous » est « proposé par Dieu, [mais] choisi par les [seuls] saints » et que « l’Esprit n’engendre pas une gnômè qui s’y refuse, mais transforme pour la divinisation celle qui le veut ». Tout en soulignant que le Christ « a souffert pour l’humanité tout entière et a donné l’espérance de la résurrection à tous également ». Il remarque que cependant « chacun par ses œuvres, appelle sur lui la gloire ou le châtiment ».
De même note-t-il que « Dieu, que par nature est bon et impassible, aime également tous les hommes, en tant qu’ils sont ses œuvres, mais glorifie [seulement] l’homme vertueux, en tant que celui-ci Lui est uni intimement par la gnômè ». Il écrit encore que le Christ « devient le chemin du salut pour tous (cf. Ac 16,17) » mais « condui[t] au Père, par la vertu et la connaissance, ceux qui veulent le suivre, comme voie de justice (cf.2 P, 21), au moyen des divins commandements ».
De même que le Christ a divinisé en Lui la nature humaine mais que tous les hommes ne sont pas autant personnellement divinisés, une telle divinisation requérant de la part de chacun que, après avoir été baptisé, il s’unisse librement au Christ par la foi, l’accomplissement de Ses commandements, un mode de vie vertueux et l’acquisition de la connaissance spirituelle ; de même Dieu, uni à tous les hommes à la fin des temps, divinisera – t – Il leur nature par la présence en eux de Ses énergies divinisantes, mais tous ne seront pas pour autant personnellement divinisés, une telle divinisation exigeant de chacun qu’il soit digne de cette grâce qui lui sera donnée, qu’il l’accepte et s’ouvre personnellement à elle, qu’il s’unisse volontairement et librement, par les vertus (singulièrement l’amour) et la connaissance, à Dieu qui sera uni à lui.
« Selon la grâce » signifie l’accord et l’union volontaire des dignes avec la grâce de Dieu qui est en eux, leur libre ouverture à cette grâce, leur disposition à la recevoir.
« Contre la grâce » signifie au contraire que ceux qui reçoivent cette grâce ne sont pas disposés à la recevoir, et même, selon leurs dispositions intérieures, s’opposent à elle ; bien qu’elle soit présente en eux, intérieure à eux, ils lui restent cependant extérieurs.
L’examen de la pensée de Maxime nous amène à conclure que pour lui, si la divinisation de tous les hommes est voulue en permanence par Dieu avant même la création et jusqu’à la fin des temps, et si elle est voulue également par les saints, elle ne s’accomplira cependant pas en tous dans la mesure où elle ne sera pas voulue par tous, certains hommes s’opposant à Dieu et à leur propre divinisation jusque dans l’enfer où leur propre choix les aura conduits. Et nous pouvons constater que les arguments de Maxime, bien qu’ils se développent en plusieurs sens, convergent en un seul ; celui du libre arbitre de l’homme dont Dieu se montre souverainement respectueux. Le souci que Maxime a montré, dans toute son œuvre, de préserver à tous les niveaux l’existence du libre arbitre et du choix personnel de l’homme.
Y aura-t-il une divinisation finale de toutes les créatures ?
Nous avons vu que selon Maxime le projet de Dieu est que toutes les créatures soient divinisées, de nombreux passages de ses œuvres évoquant la divinisation non seulement de l’homme, mais de tous les êtres ou de la création entière. Nous avons vu également que le premier homme avait une tâche de médiation dans l’accomplissement de cette divinisation, mais qu’en péchant, il ne l’a pas menée à bien, et que c’est le Christ qui l’a accomplie, embrassant la création tout entière, récapitulant toutes choses en Lui-Même, les unissant entre elles et à Dieu. Mais comme pour tous les hommes, cette divinisation de toutes les créatures par le Verbe reste potentielle. Le Verbe ne fait que redonner à l’homme la capacité d’accomplir le projet divin, et c’est donc à lui qu’il revient d’être, dans le Christ, le médiateur entre Dieu et Ses autres créatures.
Maxime envisage que « le Créateur de toutes choses, Se rendant présent proportionnellement à tous les êtres par l’intermédiaire de l’humanité, et que, séparés les uns des autres selon la nature, les êtres multiples accèdent à l’unité, s’accordant tous ensemble autour de l’unique nature de l’homme, et que Dieu Lui-Même devienne tout en tous, ayant tout embrassé et fait subsister en Lui-Même, par le fait qu’aucun des êtres ne possédera plus un mouvement indépendant et [ne sera] privé de Sa présence, [présence] grâce à laquelle nous sommes appelés et sommes réellement « dieux », « enfants », « corps », « membres », « parts », en vertu de l’orientation vers cette fin de la visée divine ».
Envisageant ce qui adviendra à la fin des siècles du fait de Dieu, il considère que toutes les créatures seront en Lui, où elles trouveront la fin de leur mouvement. Dieu, selon lui, sera tout en tous les êtres sans exception. Dieu pénétr[era] en tout en général, emplissant tout à la mesure de [Sa] grâce». « Rien alors ne se manifestera en dehors de Dieu […] Toutes les réalités intelligibles et sensibles seront enveloppées par Lui, selon [Son] apparition et [Sa] présence ineffables ».
« L’unique puissance divine se manifestera en toutes choses selon une réelle et active présence analogiquement à chacune ». Cette dernière précision indique qu’elles recevront les énergies divines de manière différente, à la mesure de la capacité réceptive de leurs natures respectives, le principe d’analogie s’appliquant ici d’un point de vue strictement naturel et hiérarchique.
On peut donc parler d’une divinisation finale de toutes les créatures non douées du libre arbitre, bien que la divinisation revête dans ce cas un caractère différent de la divinisation des hommes et soit inférieure à celle-ci, en vertu du principe même d’analogie, la ressemblance à Dieu ne pouvant qu’être moindre pour des êtres non doués par nature d’intelligence, de volonté et de liberté. Maxime reconnaît néanmoins qu’elles accéderont, du fait d’être en Dieu, à une certaine infinité. Celles-ci ne deviendront pas dieux par nature, ne s’identifieront [pas à Dieu par essence, mais participeront de Lui « selon la grâce ».
Le repos en perpétuel mouvement de l’homme divinisé
Le mouvement qui affecte tous les êtres créés dès leur venue à l’existence et qui les achemine vers leur fin s’achève dans le repos (ou la stabilité, ou la fixité) en Dieu qui est cette fin même. Maxime note à ce sujet : « le repos est la fin du mouvement naturel des êtres venus à l’existence, que réalise l’Infinité après le dépassement des choses limitées, Infinité en laquelle, parce qu’il n’y a plus de distance, s’arrête tout mouvement des êtres naturels mus, n’ayant du reste ni où, ni comment, ni vers quoi être mus, comme ayant Dieu en tant que fin et cause qui limite l’Infinité même limitant tout mouvement ».
Ainsi va-t-il pour l’homme qui, dans l’union à Dieu et la divinisation, atteint sa fin et donc connaît la cessation de son mouvement et trouve le repos en Dieu. Maxime affirme ainsi à propos de l’homme divinisé et qu’il « obtient pour prix dès son ascension vers Dieu, Dieu Lui-Même tout seul en tant que fin du mouvement de ce qui se meut, station ferme et immuable des êtres emportés vers Lui ». Il note que la grâce ineffable de la plus haute union à Dieu est accordée par Lui « à ceux qui en sont dignes ou qui plus tard seront en situation de la subir, lorsque tout sera libéré de tout changement et altération, tout mouvement des êtres quel qu’il soit prenant fin complètement dans l’Infinité autour de Dieu, en laquelle tout mouvement trouve un repos ».
Il écrit encore que l’homme « devient dieu et est appelé ‘ part de Dieu’ par sa participation à Dieu comme il convient, en tant qu’il s’est saisi selon la nature, sagement et raisonnablement, par un mouvement bien ordonné, de son propre principe et cause, n’ayant nulle part où être mû ni comment être mû au-delà de son propre principe, de sa montée et de son rétablissement auprès du logos selon lequel il a été crée, son mouvement vers le but divin ayant atteint son terme dans ce but divin lui-même ».
Si l’homme divinisé trouve le repos ou la stabilité en Dieu, (plus précisément « autour de Lui, c’est-à-dire dans le domaine de Ses énergies, et non de Son essence, laquelle est inaccessible), il reste cependant animé d’un certain mouvement. Maxime parle d’ « un repos en perpétuel mouvement et un mouvement propre en repos ».
Comment expliquer qu’il puisse y avoir fin ou cessation du mouvement (autrement dit repos) et cependant, en même temps, toujours mouvement, paradoxe, qui apparaît de manière particulièrement vive dans les oxymorons utilisés par Maxime : « repos en perpétuel mouvement » et « mouvement en repos » ?
On a en réalité affaire à deux types de mouvement différents : le premier type de mouvement celui qui cesse, est le mouvement qui est lié à la condition de créature, aux limites des êtres en tant qu’appartenant au monde et soumis aux lois et conditions d’existence de celle-ci, notamment à l’espace et au temps, en tant aussi que n’ayant pas trouvé en Dieu (ou plus exactement dans l’Intimité qui est autour de Lui) leur fin. Le deuxième type de mouvement est non plus naturel mais surnaturel. Il n’est plus celui de la créature vers Dieu, mais de l’être qui par grâce a dépassé en Dieu ses limites de créature.
Par rapport au premier, ce mouvement est donné à l’homme par l’énergie divine (car l’homme n’a pas par nature la capacité d’un tel mouvement) et lui est approprié en tant que don, d’autant que l’homme divinisé est ainsi en repos par rapport à son mouvement naturel de créature et tant qu’il a atteint sa fin et comblé de distance qui le séparait de Dieu. Mais il reste en mouvement en tant que mû par Dieu et en Dieu. Ce mouvement est celui de la vie surnaturelle en Dieu. Il est aussi celui de la jouissance des bienheureux ; ainsi, Maxime note-t-il que « ce repos éternellement mobile des désirants [autour du Désiré] est la jouissance continue et ininterrompue du Désiré » et que cette « jouissance continue et ininterrompue est la participation aux réalités divines qui sont au-dessus de la nature ». Ce mouvement est aussi celui de la glorification incessante de la Sainte Trinité par l’homme divinisé, de concert avec les puissances célestes, comme l’explique Maxime à propos du chant liturgique du Trisagion : « La triple exclamation de sanctification de l’hymne divin poussé par tout le peuple fidèle représente l’union et l’égalité d’honneur qui se manifestera dans l’avenir avec les Puissances incorporelles et intelligibles, selon laquelle la nature des hommes sera instruite à chanter et à sanctifier, en accord avec les Puissances d’en-haut, l’unique Divinité trihypostatique en une triple sanctification, grâce à une identité de l’immuable mouvement perpétuel autour de Dieu ».
Ce mouvement s’explique encore par le fait que les énergies mêmes de Dieu (l’Infinité qui est autour de Dieu comme le note plusieurs fois Maxime, et dans laquelle l’homme divinisé est mû surnaturellement ) sont une richesse que l’homme ne peut jamais épuiser dans sa superconnaissance et son amour, et plus encore, par le fait que Dieu en Son essence reste toujours insaisissable par l’homme, et constitue donc pour lui un but vers lequel il tend surnaturellement sans qu’il lui soit possible d’y atteindre, ce qui est pour lui comme la reconnaissance perpétuelle que, bien qu’il soit lui-même devenu dieu selon l’énergie divine. Celui qui est Dieu par nature lui reste radicalement transcendant. Ainsi Maxime après avoir noté que « tout mouvement des êtres quel qu’il soit prend fin complètement dans l’Infinité autour de Dieu » précise ; « L’Infinité qui est autour de Dieu, mais non Dieu, Lui qui est incomparablement au-delà de celle-ci». « L’Infinité qui est autour de Dieu » désignant les énergies divines, tandis que « Dieu » désigne ici l’essence divine.
« La sortie hors des choses qui par nature sont circonscrites, selon un principe et une fin est l’opération immédiate, infinie, et [s’exerçant] jusqu’à l’infini du Dieu très fort et très puissant en ceux qui sont jugés dignes de cette sortie […]. L’opération immédiate, infinie et [s’exerçant] jusqu’à l’infini du Dieu très fort et très puissant est la volupté et la joie ineffables et superindicibles, selon l’union inexprimable et qui dépasse l’intellection, de ceux qui sont opérés ».
Plus caractéristique encore le passage où Maxime explique pourquoi le nous, tout en ayant trouvé l’arrêt de son mouvement naturel en Dieu, continue cependant à être mû en Lui : « Et voici qui est admirable : c’est la façon dont [le nous qui a atteint ‘la gnose inoubliable », autrement dit la mystagogie théologique] trouve sa fin une fois qu’il est circonscrit ou qu’il est à son terme dans la Vérité, ce qui veut dire en Dieu. Car Dieu est la vérité vers laquelle le nous est mû sans interruption et sans oubli ; et il ne peut jamais s’arrêter dans son mouvement, ne trouvant pas de terme là où il n’y a pas de distance. Car l’admirable grandeur de l’infinité divine est quelque chose qui est sans quantité, sans parties et qui est absolument dépourvu de distance, quelque chose qui n’offre pas la moindre prise par où l’on puisse l’atteindre et connaître ce qu’il est par essence. Or ce qui n’a pas de distance et n’offre nulle prise n’est déterminable par personne.
C’est cette même raison, à savoir l’infinité de Dieu et le fait qu’Il ne peut être atteint en Son essence même, qui explique que l’homme soit divinisé à l’infini, que sa divinisation ne connaisse pas de fin ni de limite.
La difficulté de concevoir la divinisation
La pensée maximienne manifeste sans aucun doute un certain nombre d’imprécisions lorsqu’il s’agit de définir le processus et la nature de la divinisation, bien qu’elle constitue pour ce faire l’une des tentatives patristiques les plus élaborées.
La raison est sans aucun doute que la divinisation reste une réalité mystérieuse, inaccessible à la connaissance humaine, et par conséquent incompréhensible, inexplicable, indescriptible et ineffable.
Comme on a vu que l’accès au domaine de la théologie mystique supposait de la part du fidèle qui en est digne le dépassement et l’abandon de tous les êtres et de leurs représentations, l’abandon de toute opération des sens, de la raison et de l’intellect, toutes les puissances humaines étant incapables par leurs propres opérations de connaître Dieu, une telle connaissance ne pouvant être que donnée par Dieu Lui-Même, d’une manière inconnaissable et inexprimable, ce que Maxime, nous l’avons vu répète maintes fois.
Selon lui, l’union à Dieu est « inexprimable » et « dépasse l’intellection », et la volupté et la joie que l’homme en reçoit sont inconcevables, « inexprimables et superindicibles ». Les dons divins de la connaissance, « nous ne pouvons les nommer dans le siècle présent en raison de leur élévation et de leur grandeur, si le grand Apôtre dit vrai en assurant que, non seulement dans le siècle présent mais dans le siècle à venir, la béatitude finale, celle qui suit tout le partage de tous les charismes, est au-dessus de tout nom, suggérant par là le sommet suprême que ne peut exprimer aucune parole ni connaître aucun nous ». La divinisation correspond au « grand mystère caché », au « logos indicible » des choses que la Providence a disposées pour l’humanité. La grâce divine par laquelle et selon laquelle l’homme est divinisé est un mystère. Le Huitième jour, qui est cependant de la divinisation, il n’est nullement possible à aucune des puissances célestes et terrestres de le connaître avant de l’avoir éprouvé ; « seule le peut la Divinité bienheureuse Elle-Même, qui a fait ces choses ». La divinisation fait « être par position les amoureux des Biens ce que [Dieu] sera montré [être] par nature, selon des logoi que Lui-Même connaît » et Lui seul. L’état divin auquel celui qui en est digne accède est « un état que l’on ne peut pas dire ni décrire par la parole ». Le toujours-être-bien des êtres est un « mystère inexplicable ».
Le grand évangéliste Jean lui-même dit « ignorer le mode de la future divinisation (cf. 1 Jn 3,2 ) » et « le saint Apôtre Paul dit avoir reçu révélation du dessein divin sur les biens à venir, mais non certes connaître le mode de la divinisation selon ce dessein divin, […] la substance autoexistante selon la vision des biens futurs n’étant pas manifestée ».
Et aussitôt après avoir présenté le processus de l’union mystique, Maxime écrit : « Nous n’avons de ce que sera la future participation, pour les dignes de [la] bonté de [Dieu], qu’une représentation par conjecture ; [nous ne nous la représentons pas] comme elle adviendra en fait, mais altérée, parce que, les réalités que l’on espère sont au-dessus de toutes choses, tout comme elles sont, selon ce qui est écrit, au-delà de la vue, de l’ouïe et de la pensée ».
La divinisation peut seulement être éprouvée par ceux qui en font l’expérience. Ceux-là mêmes qui en font l’expérience ici-bas n’en reçoivent que les arrhes et ne la « connaissent » que « comme en un miroir », d’une manière confuse et imparfaite. Ce n’est que « quand ce qui est parfait sera venu que ce qui est partiel disparaîtra » et que tout sera parfaitement connu dans la vision face à face (1 Co 13,12) de ceux qui espèrent et de Celui en qui ils ont espéré.
العلامه واللاهوتى اسبيرو جبور مثقف بالقطع ويجيد عده لغات لكن من لا يجيد لغات كيف يستفيد وانفسنا تتوق لكى تنهل من الفكر الأبائى الاصيل الموجود على صفحات السراج الارثوذكسى ودمتم معافين فى الثالوث القدوس امين